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L’ÉCOSSE.

fonde une famille, et, comme disent les Anglais, il fait un aîné. Où nous découvrons une criante injustice, il ne voit, lui, qu’une nécessité sociale, et ce sont de ces nécessités auxquelles on se soumet d’autant plus volontiers, qu’elles caressent la vanité nationale et flattent l’amour-propre de l’individu.

Par des motifs analogues, les substitutions sont plus fréquentes en Écosse qu’en Angleterre, et embrassent un avenir bien plus étendu. Les substitutions anglaises ne sont pas toujours perpétuelles, comme on le croit généralement ; d’habitude elles ne s’étendent guère au-delà de l’époque où l’héritier, encore à naître, du dernier des individus vivans qui doit recueillir le majorat, aura atteint sa majorité. Les substitutions ne s’appliquent, en outre, qu’à la propriété foncière ; elles n’atteignent pas les rentes, les actions industrielles et toutes les valeurs mobilières qui peuvent être partagées. Il y a plus ; la loi relative aux substitutions n’est souvent applicable qu’en cas de mort intestat. Un père qui possède une fortune mobilière considérable peut la partager plus également qu’on ne le pense entre ses enfans, et n’a même le droit de déshériter absolument aucun d’eux. En Écosse, la loi relative aux substitutions est beaucoup plus rigoureuse ; les substitutions perpétuelles, reconnues par cette loi, sont très fréquentes dans les familles considérables[1]. Les grandes fortunes ne se peuvent donc partager ; de là l’étendue immense des propriétés territoriales de certaines familles, des ducs de Sutherland, de Buccleuch, d’Argyle, d’Athol et autres. Ces propriétés, renfermant des comtés entiers, dont quelques-unes ont l’étendue d’un de nos départemens, sont quelquefois fort négligées, mais souvent aussi elles sont tenues avec le même soin qu’un jardin anglais de quelques arpens. Le duc d’Athol, par exemple, a cinquante jardiniers occupés seulement à l’entretien des cinquante milles d’allées sablées et des soixante milles d’allées de gazon et de mousse de son parc de Dunkled, qui renferme peut-être la plus belle vallée des Highlands. Le même duc d’Athol a planté en bois plus de trente-six milles carrés de ses vastes domaines.

Une conséquence naturelle de cet état de choses, c’est que la démarcation des classes est peut-être plus profronde encore en Écosse qu’en Angleterre. Le besoin des distinctions sociales y est tout aussi impérieux. L’aristocratie y étale le même orgueil et les mêmes prétentions qu’à Londres ; mais en mêlant à sa hauteur une sorte de

  1. Les cadets auxquels un père lègue une somme équivalente à une année des revenus de la fortune laissée à l’aîné se trouvent très bien partagés.