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L’ÉCOSSE.

On a dit qu’il n’y avait pas de héros pour son valet de chambre. M. Lockhart, homme d’esprit cependant, s’est fait en quelque sorte le valet de chambre posthume de Walter Scott. Il habille et déshabille le grand homme au moral et au physique. Il nous dévoile les mystères les moins intéressans de sa vie privée, nous initie aux plus petits détails de sa toilette, et nous introduit dans les recoins les plus détournés de ses habitations de Londres et d’Abbotsford, nous faisant asseoir à sa table, et se plaisant à nous montrer combien ses sens étaient obtus, afin de compléter sans doute à leurs dépens l’éloge de sa brillante intelligence. « La musique, dit-il, le laissait insensible ; une pièce de venaison dont l’odeur mettait en fuite ses convives n’offensait pas son odorat. — Qu’y a-t-il ? demandait Scott naïvement en voyant ses voisins reculer avec dégoût. — Son palais manquait également de délicatesse ; il ne pouvait distinguer le madère du sherry ; le claret et le champagne lui paraissaient des vins assez agréables, mais, le barbare qu’il était ! il avouait hautement qu’il préférait à ces boisons si vantées un verre de whiskey chaud (whiskey toddy). »

Un panégyrique si cruellement minutieux devait tuer celui qui en était l’objet ; aussi Walter Scott en a été tout meurtri. La partie intellectuelle de l’homme, demeurée secrète pour le biographe, qui n’a pu fouiller dans ses mystères, y découvrir l’origine et la filiation de chacune de ses idées, et nous faire assister au travail souvent si ingrat et si vulgaire de la composition, cette partie seule est restée intacte. L’homme politique, l’homme privé même, n’ont pu résister à cette redoutable épreuve, et sont sortis du creuset souillés et en lambeaux. À travers ces spéculations intéressées et ces négociations misérables qui semblent avoir occupé la vie entière de Scott, et que M. Lockhart, aveuglé sans doute par l’amitié, nous raconte si longuement et si naïvement, l’homme de génie ne nous apparaît plus que comme un vaniteux bourgeois qui rêve des titres nobiliaires, ou comme un avide et besogneux écrivain qui, en publiant ses plus beaux ouvrages, a toujours beaucoup plus songé à l’argent qu’à la gloire[1].

Walter Scott, dans une rapide esquisse de sa vie, que par respect pour sa mémoire on n’eût pas dû tenter de refaire, nous raconte à quel propos l’idée lui vint de substituer le roman historique au roman poétique. « Comme Bobadill, nous dit-il, j’avais appris mes tours à une

  1. Les frères Ballantyne, et Constable lui-même, gémirent plus d’une fois de l’avidité d’Aldiborontiphosphornio, nom sous lequel ils désignaient Walter Scott lorsqu’ils voulaient en médire.