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geaient[1], l’étendue et la variété de leurs connaissances et la vigueur de leur dialectique, le scepticisme de leurs doctrines, contribuèrent singulièrement au succès de leur tentative hasardeuse. L’absence d’un plan régulier qui laissait à chaque numéro de ce recueil tout le charme de l’imprévu, ce mode de critique qui, loin de s’attacher à tout enregistrer et à tout juger, ne choisissait dans la foule des productions du jour que les ouvrages d’un mérite incontestable ou d’un ridicule transcendant, furent autant de garanties de plus pour son succès. Libre dans ses allures, le critique d’un goût sûr pouvait tour à tour sympathiser avec l’écrivain de génie dont il partageait en quelque sorte l’inspiration et l’émotion créatrice, ou se divertir aux dépens de la sottise présomptueuse et du faux enthousiasme qu’il jetait en pâture aux moqueries du public. Parfois même, s’emparant du titre du premier ouvrage venu, comme d’une sorte de prétexte à l’exposition de ses doctrines et de ses opinions, un habile et savant écrivain condensait, dans un petit nombre de pages, ses idées sur la matière qu’un auteur inexpérimenté avait délayée dans un lourd volume, montrant de cette façon à l’homme médiocre ce qu’il aurait dû faire et ce qu’il n’avait pas fait, redressant ses opinions erronées, lui apprenant à penser ou même seulement à faire valoir ses idées par la nouveauté de la forme et l’éclat de l’expression ; ne se servant, en un mot, de son ouvrage que comme d’une sorte d’introduction à des vues nouvelles sur le même sujet, que comme d’une occasion favorable de déployer les ressources de son intelligence et de faire briller la vivacité de son esprit.

Comme tous ceux qui ont en main un grand pouvoir, ces redoutables critiques en ont quelquefois abusé ; on connaît leur rigueur à l’égard de Byron et les querelles qui s’ensuivirent. L’injustice de la critique porte néanmoins avec elle un remède à peu près sûr ; elle sert mieux le talent que la prostitution de l’éloge. Qui sait si le trait

  1. Le révérend Sidney Smith, qui conçut le premier l’idée de ce recueil ; M. Jeffrey, depuis lord Jeffrey ; M. Brougham, depuis lord Brougbam ; sir James Makintosh, MM. Herbert, Hazlitt, Hallam et G. Lamb. Il faut ajouter à ces noms ceux des professeurs Leslie, Pillans et Playfair, enfin ceux de lord Aberdeen et de lord Holland ; mais ce dernier fut plutôt un protecteur honoraire qu’un rédacteur de la revue écossaise. Lord Byron accuse cependant lady Holland de n’avoir pas été étrangère à la rédaction de l’Edinburgh Review.

    My lady skims the cream of each critique ;
    Breathes o’er the page her purity of soul,
    Reforms each error and refiness the whole
    ,

    dit-il, en parlant de lady Holland, dans sa satire contre les reviewers écossais.