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Le prodigieux développement que l’industrie a pris dans les villes du sud de l’Écosse résulte d’une tolérance analogue. On s’effrayait vivement au début, on criait à l’imprudence, à la folie ; les intéressés étaient prêts à réclamer une direction modératrice ; effrayés eux mêmes du mouvement qui les emportait, ils eussent voulu que la main du pouvoir en ralentît la furie. Le pouvoir, plus calme parce qu’il était désintéressé, ne s’est pas ému de ces vaines terreurs. Il a senti que le meilleur moyen de protéger, c’était de laisser faire. L’expérience prouve qu’il ne s’était pas trompé. Sa sécurité, son indifférence même, ont fait naître la confiance ; l’impulsion donnée s’est continuée et l’industrie a vaincu.

En littérature, cet amour-propre individuel et national a eu pour effet d’empêcher le dévergondage et la folie qu’entraîne trop souvent la liberté de tout dire. Si depuis Walter Scott on a publié en Écosse peu d’excellentes choses, on a publié encore moins de mauvaises ou de tout-à-fait médiocres. Ce fonds de fierté et de respect pour soi-même qui distingue chaque individu l’empêche de se compromettre et de faire de ces débauches d’esprit non moins déplorables que dégradantes. Ailleurs la vanité remplace l’amour-propre ; la vanité ose beaucoup plus, parce qu’elle est plus confiante ; malheureusement sottise et vanité se touchent de près.

On fait peu de sottises et encore moins de folies à Édimbourg, ville raisonnable par excellence ; peut-être même y est-on trop sage et trop réservé. La raison et la réserve, qualités fort estimables dans le cours ordinaire de la vie, ne sont pas tout-à-fait suffisantes dans les travaux de l’esprit. Elles ont sans doute pour effet de diminuer le nombre des défauts d’un ouvrage, elles n’augmentent pas celui des beautés et ne produisent qu’une perfection négative. Aussi, depuis Walter Scott, la belle époque littéraire semble-t-elle passée pour l’Écosse. Comme il arrive aux momens de ralentissement dans les arts, je ne veux pas dire de décadence, ses poètes sont ingénieux, ses historiens érudits et enclins au paradoxe. Ces derniers cherchent moins à exposer les faits tels qu’ils se sont passés qu’à les présenter sous un autre point de vue que leurs devanciers. Les romanciers, fatigués de la demi-vérité de Walter Scott, sont tombés dans la caricature historique ou dans le mélodrame. La science elle-même et la philosophie sont devenues plus conjecturales qu’elles ne l’avaient jamais été. Cependant la sève n’est pas tarie ; elle pousse de temps à autre des rejetons vigoureux, et bien des branches sont encore en fleurs.