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L’ÉCOSSE.

La prospérité industrielle de l’Écosse ne s’est pas arrêtée à ses seuls rivages. Dans l’intérieur des terres, d’obscures bourgades se sont transformées, comme par miracle, en villes populeuses et d’une haute importance. Paisley, qu’on pourrait à juste titre appeler le Manchester de l’Écosse, est l’exemple le plus frappant de ce développement hâtif et pour ainsi dire américain. La chronique industrielle de cette ville est de date récente ; deux femmes en sont les héroïnes. L’une d’elles, miss Shaw, vivait à la fin du XVIIe siècle ; elle avait environ onze ans quand, une servante l’ayant battue, se mit tout à coup à pousser des cris effroyables et prétendit que cette fille avait voulu l’ensorceler. À la suite de cette scène, elle fut saisie d’affreuses convulsions, causées sans doute par la colère, mais que l’on ne manqua pas d’attribuer au sortilége. La servante fut arrêtée ; dans sa frayeur, elle crut se justifier en dénonçant plusieurs de ses compagnes et d’autres individus. Un procès criminel eut lieu, à la suite duquel vingt personnes furent convaincues du crime de sorcellerie et condamnées à diverses peines. Cinq d’entre elles furent brûlées sur la place publique du bourg de Paisley. Un domestique mâle, qui devait subir le même sort, s’étrangla dans prison. « Le diable, dit Crawford, historien du Renfrewshire, lui tordit le cou pour qu’il ne fît pas une confession préjudiciable aux intérêts de Satan » Ces abominations judiciaires se passaient il n’y a guère plus d’un siècle et demi, et dans un pays qui se croyait civilisé. Miss Shaw, se reprochant sans doute sa coupable dénonciation, se condamna désormais à une retraite absolue, s’occupant, dans ses longues heures de loisir, à filer le lin et le chanvre. Elle excella bientôt dans ce métier. La finesse des fils qu’elle obtenait faisait l’admiration des connaisseurs. Lady Blantyre, grande dame du Renfrewshire, qui faisait un voyage à Bath, porta dans cette ville des pelotons de ce fil, les premiers échantillons de fil d’Écosse qui eussent peut-être passé la Tweed. Les fabricans de dentelles de Bath les employèrent avec avantage et adressèrent sur-le-champ de nouvelles demandes à miss Shaw, qui s’empressa de les satisfaire. Aidée de ses jeunes sœurs et de quelques voisines, elle forma même une sorte de petite manufacture qui prit bientôt une extension considérable. C’est alors que miss Shaw, ayant expié par une fondation utile la criminelle étourderie de sa jeunesse, épousa le ministre de Kilmaurs.

À peu près vers le même temps, une brave Écossaise, qui s’appelait mistress Wittar, vivait dans la bourgade de Renfrew, voisine de Paisley. Mistress Wittar fit avec son mari, homme à projets comme