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troupeaux prirent souvent dans ces vallées des Highlands la place des hommes. Le nombre d’acres de terre ne pouvait se calculer dans ces districts montagneux, remplis de fondrières, de marécages et de rochers ; ces nouveaux fermages se réglaient par le nombre de moutons ou de bœufs noirs qu’une certaine étendue de terrain pouvait nourrir. Ces animaux, de petite espèce, supportent fort bien les froids de l’hiver, qui, d’ailleurs, ne sont jamais très rigoureux en Écosse ; ils restent, hiver comme été, dans la campagne, la neige séjournant rarement plus d’un jour sur le sol.

Dans les terres moins élevées et plus fertiles, la révolution agricole s’était opérée d’une autre manière ; les grands seigneurs réunissaient les petites fermes de dix à cinquante acres pour en former des fermes de deux à trois cents acres. Le travail, moins divisé, entraînait moins de frais, mais cette réunion des fermes contribua, au moins autant que l’établissement des pâtures, à la dépopulation des campagnes. Beaucoup de maisons isolées furent abandonnées par les habitans, qui émigraient ou se retiraient dans les villes pour y travailler comme journaliers. Cette dépopulation fut d’autant plus apparente qu’elle eut lieu dans des vallées antérieurement bien peuplées.

Depuis soixante ans, l’émigration a donc été fort considérable en Écosse. Le Canada, la Nouvelle-Écosse et bien des districts des États-Unis se sont peuplés aux dépens des îles et des comtés du nord. Ces pauvres paysans émigraient d’autant plus volontiers, qu’en partant ils ne renonçaient à aucun avantage, à aucune jouissance qu’ils ne fussent assurés de retrouver ailleurs. Ils ne pouvaient être plus misérables dans leur nouvelle patrie que dans celle qu’ils délaissaient. L’émigration avait souvent lieu en masse ; tous les habitans d’un canton envahi par le bétail noir ou les fermiers anglais partaient ensemble et se fixaient dans un même lieu ; ils n’avaient fait que changer leur ciel triste et brumeux contre un ciel plus favorable, qu’abandonner un sol ingrat qui ne leur appartenait pas, pour des terres fertiles dont ils devenaient facilement les propriétaires. Ils emportaient en outre avec eux leur patrie morale, c’est-à-dire leurs opinions, leur religion, leurs chansons nationales, leur gaieté héréditaire, leurs habitudes, et même leurs relations. Ceux qui se trouvèrent dans ces conditions ne furent certainement pas trop à plaindre.

Peu à peu, cependant, l’émigration a diminué dans les Highlands. Le sort du peuple s’est amélioré ; le mouton est devenu une nourriture peu coûteuse ; le poisson a repeuplé les lacs ; la culture de la