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L’ÉCOSSE.

ces parcelles en bloc, et dépossédèrent les fermiers qui ne pouvaient les payer ; ces fermiers renvoyèrent leurs tenanciers, ces tenanciers les manœuvres et les gens de ferme. Une effrayante secousse fut subitement donnée à la population des montagnes ; la moitié de cette population se trouva tout à coup sans pain, et le quart émigra.

La concurrence des fermiers des basses terres, souvent même de fermiers étrangers pouvant disposer de petits capitaux, contribua par-dessus tout à élever le prix des baux ; cette élévation eut lieu dans des proportions si rapides, que tels de ces grands propriétaires qui ne tiraient de leurs vastes domaines qu’un revenu de cinq à six mille livres sterling vers 1750, en obtenaient quatre-vingt à cent mille livres vers 1800. Quelques terres, plus avantageusement situées que les autres de ces domaines, rapportèrent même cinquante fois plus qu’auparavant ; j’ai vu par exemple, dans le duché d’Argyle, des terrains qu’on louait deux shellings l’acre il y a soixante ans, et qui produisent aujourd’hui deux à trois livres sterling. La fortune des grands propriétaires fonciers fut donc décuplée, mais aux dépens des anciens fermiers, qui ne pouvaient lutter contre la concurrence accablante des Lowlanders et des Anglais, cultivateurs ou propriétaires de troupeaux. Ces malheureux, ainsi dépossédés, furent réduits aux plus cruelles extrémités ; quelques-uns de leurs anciens seigneurs, il est vrai, se sont efforcés d’apporter tous les adoucissemens possibles à leur déplorable condition[1], prenant soin des infirmes, donnant quelques secours à ceux que le désespoir poussait à l’émigration ; mais d’autres, en plus grand nombre, il faut le dire, endurcis par l’absence (the absenteism), ou par ce mépris de l’humanité trop commun dans certaines castes, loin de compatir au sort de leurs anciens fermiers, se félicitaient de se trouver débarrassés de leurs réclamations importunes. — « Nous ne faisons que changer de bêtes, disait l’un d’eux, à qui l’on parlait d’une émigration considérable des paysans de son comté ; et, ma foi, j’aime mieux encore les brebis et le bétail noir que ces montagnards : c’est plus facile à mener. »

Vers l’époque de cette révolution dans les fermages, révolution dont les montagnards ne parlent encore qu’avec un sombre désespoir, les

  1. Le duc de Bucclench, par exemple. Ce grand seigneur emploie journellement jusqu’à mille ouvriers dans ses divers établissemens agricoles. On a calculé que dans certains hivers les gages de ces journaliers avaient nourri jusqu’à trois mille personnes. En Écosse, les descendans des plus grandes familles ne croient pas déroger en se faisant agronomes et quelquefois même industriels.