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L’ÉCOSSE.

meilleure situation. Il aura plus de justice que de générosité, plus de gaieté que de finesse d’esprit, plus d’instinct poétique et musical que de sûreté de goût. Il aimera les aventures comme l’habitant des montagnes, et il n’hésitera jamais à quitter son pays et à courir le monde dans l’espoir de s’enrichir. Quelles que soient sa fierté, sa hauteur même, il s’y mêlera souvent quelque chose de servile, surtout lorsque ses intérêts seront en jeu.

La classe moyenne en Écosse a de hautes prétentions au spiritualisme, et néanmoins la morale des intérêts et le goût du positif, qui ne sont après tout que du matérialisme déguisé, ont beaucoup trop d’influence sur ses actions lorsqu’il s’agit d’acquérir ou seulement de faire un peu plus rapidement son chemin. Dans une circonstance donnée, ces Écossais, si moraux en paroles, ne se feront pas faute de petites trahisons nécessaires, de petites lâchetés utiles, et parfois ne craindront pas de passer pour ingrats. Dans la foule d’exemples que nous pourrions citer comme preuve de ce que nous avançons, nous ne choisirons que le suivant, qui nous prouvera que le génie lui-même n’est pas toujours étranger à certaines faiblesses.

L’administration qui précéda celle de Fox avait promis à Walter Scott, qui débutait alors dans la carrière littéraire, une place secondaire dans la magistrature. À la chute de ce ministère, le solliciteur fit volte-face et adressa ses suppliques au puissant du jour, c’est-à-dire à Fox lui-même. Fox prit à cœur la réussite de la candidature du poète, et, comme un de ses collègues s’opposait à sa nomination, disant que c’était là une méchante affaire : « Ce sera du moins une affaire en faveur du génie, le précèdent ne peut être dangereux, » repartit Fox avec sa libéralité ordinaire. Walter Scott eut donc sa place. On croit peut-être après cela que le grand romancier garda pour son patron cette reconnaissance inaltérable qui, après tout, n’aurait témoigné que de la droiture de son cœur ; nullement : à la mort de Fox, les tories étant revenus au pouvoir, des banquets eurent lieu dans toutes les grandes villes d’Écosse en l’honneur de la nouvelle administration. Au lieu de se tenir convenablement à l’écart, Walter Scott n’hésita pas à s’asseoir à ces banquets à côté des ennemis de son bienfaiteur. Il fit plus : dans l’une de ces réunions, il réclama le silence, et, après avoir porté un toast à la nouvelle administration, il entonna une chanson qui avait pour titre The death of the Fox (la mort du renard), dans laquelle, à l’aide d’allusions perfides, il insultait à la fois et le ministère déchu et l’homme généreux auquel il devait sa récente élévation.