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— Un moment ; laisse-moi appeler mon ami. — Et le chasseur pousse un long cri, puis il écoute. Une effrayante pâleur couvre tout à coup son visage. C’est qu’il a entendu bien loin, bien loin, au fond du ravin, ne voix sourde et étouffée. Serait-ce la voix de son ami ? Un cri de détresse et des plaintes déchirantes suivent ce premier cri ; mais les chants de la jeune fille deviennent si bruyans, qu’ils couvrent cette voix et qu’ils étouffent ces plaintes. Néanmoins le chasseur voit avec effroi dans quel piége il a failli tomber. Comme sa volonté est chancelante, qu’il ne se sent plus le maître de ses actions et que son ame semble sur le point de s’échapper, il invoque la protection de la Vierge et murmure l’hymne qui lui est consacrée. C’est le Salve Regina qu’il chante. À chaque strophe, sa voix devient plus claire et plus vibrante, tandis que celle de la mystérieuse visiteuse s’affaiblit et tombe. La forme de son corps, comme sa voix, devient d’instans en instans plus vague et plus indécise ; mais, si le chasseur s’arrête et que l’hymne cesse de retentir, les chants, les sourires et la tentation renaissent aussitôt.

Le jeune homme chanta donc toute la nuit le cantique sacré, et néanmoins ce ne fut que vers le point du jour, au moment où les premières lueurs de l’aube naissante blanchissaient la cime des monts d’alentour, que les formes de la tentatrice s’évanouirent, et que le bruit de sa voix cessa de se faire entendre.

Le soleil se levait au moment où le chasseur sortait de la chaumière. Tout le jour il parcourut le vallon, appelant à haute voix son ami. Vers le soir, comme il se penchait au-dessus du précipice au fond duquel tombe la cascade, il aperçut des lambeaux de chair et le plaid du malheureux chasseur tout souillé de sang et flottant au-dessus du précipice. Plus de doute, la fatale beauté l’avait entraîné après elle au fond du gouffre. Le chasseur s’enfuit glacé d’épouvante, et jamais dans ses courses aventureuses il ne remit le pied dans le vallon des femmes vertes.

Ces légendes et ces traditions sont propres surtout aux montagnards ; la tournure d’esprit des habitans des basses-terres est beaucoup moins poétique, et, depuis la récente invasion de l’industrie et le triomphe du positif, l’imagination chez eux s’est tournée vers des objets plus réels. Leurs mœurs, étant originairement moins tranchées que celles des montagnards, ont subi des modifications moins apparentes. Le caractère du peuple proprement dit est à peu près aujourd’hui ce qu’il a toujours été. L’Écossais des Lowlands saura toujours supporter patiemment la gêne et la souffrance, pour arriver à une