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traditionnellement dans leurs villages. C’est donc plutôt dans leurs récits que dans leurs chansons qu’ils sont vraiment poètes. Le merveilleux et le fantastique jouent un grand rôle dans ces histoires dont les croyances superstitieuses de l’Écosse forment toujours le fonds.

Les ministres presbytériens ont eu beau faire, leurs doctrines positives et raisonnables n’ont pu détruire absolument certains rites étranges, certaines cérémonies cabalistiques, restes de l’idolâtrie qui régna si long-temps dans ces montagnes. On ne fait peut-être plus le dimanche de libations de lait et de whiskey en l’honneur de Greogach, le vieillard à la longue barbe ; on n’invoque plus, en se plaçant au gouvernail d’un bateau, le Kelpie, cet esprit des lacs ; on n’enterre plus sous la cendre le petit gâteau pour le Brownie, ce génie robuste et serviable ; et néanmoins dans certains districts reculés de Highlands, particulièrement sur les versans des montagnes qui font face aux Hébrides, et sans doute dans ces île, les mêmes paysans qui vont à la messe et au prêche, font encore, à des êtres animés ou inanimés, de ces sacrifices annuels qu’on appelle dans le pays l’offrande du Bel tein. À cet effet, les habitans de plusieurs fermes ou hameaux se rassemblent dans la montagne à un endroit convenu. Chacun apporte ses provisions, l’un ses gâteaux d’avoine ou cakes, l’autre des galettes mieillées, un troisième de la bière ou du whiskey ; personne ne peut venir les mains vides. Quand tous sont réunis, des jeunes gens, qui se sont munis de bêches, taillent de larges dalles de gazon qu’ils assemblent en forme d’autel, et sur lesquelles ils disposent plusieurs lits de peat ou tourbe ; ils y mettent le feu et placent sur ce brasier une grande chaudière où on jette le lait, le beurre, les œufs et le miel qu’on a apportés. Lorsque ce mélange a long-temps bouilli, chacun des assistans en remplit un verre et le répand autour de soi, faisant à haute voix une invocation aux esprits invisibles de l’univers. À la suite de ces libations préliminaires, les assistans tirent de leur sprochan, ou bissac suspendu au côté, des gâteaux votifs (votive cakes). Sur ces gâteaux sont figurés des nœuds au nombre de neuf. Chacun des montagnards se tourne du côté du brasier, brise ces nœuds un à un, et les jette l’un après l’autre, par-dessus l’épaule, dans le feu, en faisant un vœu aux esprits surnaturels : « À toi, esprit, afin que tu préserves mes chevaux ! s’écrient-ils ; à toi, esprit, afin que tu préserves mes bœufs ! à toi, esprit, afin que tu préserves mes moutons ! » — La liste des esprits qui préservent épuisées, les montagnards s’adressent de la même manière aux esprits qui détruisent et