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L’ÉCOSSE.

père, enlevé mes frères ; ils ont ruiné ma famille, ils ont brisé le cœur de ma mère, mais tous ces malheurs, je les aurais soufferts sans murmure, si j’avais vu mon roi restauré, » chantaient en chœur ces montagnards long-temps encore après l’expulsion de ces princes dont l’aventureuse folie avait causé tous leurs malheurs.

L’union des deux royaumes, la destruction des clans, la proscription momentanée du costume, l’émigration, et, s’il faut tout dire, la persécution et les abus de pouvoir du vainqueur, ont entièrement modifié cet état de choses. Les anciennes mœurs ont disparu. Les vices et les vertus énergiques des montagnards ont fait place aux vices mesquins et aux froides vertus d’une civilisation avancée. Incorporés dans la grande famille, ces hommes, si redoutés autrefois, ne s’en distinguent plus que par leur costume plus tranché, leur misère plus profonde et par un reste d’énergie souvent assez mal employée. Ne pouvant plus faire la guerre civile, ils font la contrebande ; ne pouvant plus piller l’habitant des basses terres, ils mendient ses secours, ou se livrant, à son exemple, aux travaux de l’agriculture et de l’industrie, ils l’emportent presque toujours sur lui en intelligence et en activité. En revanche, leur antique franchise s’est changée en rudesse, leur dévouement a fait place à l’égoïsme, et leurs vertus hospitalières sont devenues intéressées.

La seule nuance caractéristique de l’esprit des montagnards que le temps n’ait pas effacée, c’est la crédulité. Cette crédulité, chez eux comme chez tous les peuples du Nord, se combine avec une puissance d’imagination singulière ; ils se persuadent aisément ce qu’ils se sont figuré, et croient aux fantômes qu’eux-mêmes viennent de créer ; il n’est donc pas surprenant que l’Écosse soit toujours le pays de la seconde vue[1]. Les montagnards qui se prétendent doués de cette faculté merveilleuse à l’aide de laquelle ils voient les choses éloignées ou futures, comme si elles étaient présentes et actuelles, sont, à ce que l’on nous a assuré, aussi communs dans le pays que par le passé. Beaucoup de villages ont leurs poètes et leurs sorciers ; bien qu’on ait cessé de brûler ces derniers, l’espèce ne s’en est pas perdue ; la tolérance ne leur a pas été plus funeste que la persécution. Les gens que les Highlanders appellent poètes, bien différens des bardes ou senachies d’autrefois, ne composent plus les poèmes qu’ils chantent. Ce sont d’ordinaire de jeunes montagnards qui ont une belle voix et qui répètent des couplets appris à la ville voisine, ou conservés

  1. Second sight, taisch en langue gallique.