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la chasse ou de la pêche, comme aux temps des Romains et d’Agricola, et méprisant comme indigne d’elle l’agriculture et le commerce. Ces hommes à demi sauvages faisaient cuire leurs bœufs et leurs moutons sans les dépouiller, se servant d’écuelles de bois pour toute poterie, connaissant à peine l’argent monnayé, et ne savaient pas tanner le cuir. Déjà cependant ils avaient des poètes qui chantaient les grandes actions de leurs guerriers, des savans qui s’occupaient de la culture des lettres sacrées et profanes, et qui recherchaient curieusement les manuscrits antiques. Leurs architectes, dès le commencement du XIIe siècle, avaient construit les magnifiques chapelles d’Holyrood et de Dryburgh, et les abbayes de Melrose et de Roslin, ces prodiges de l’art gothique.

Cent années plus tard, le luxe n’avait pas fait de progrès sensibles en Écosse ; l’or et l’argent étaient à peu près inconnus dans ce pays. On ne se servait de ces métaux précieux que pour les calices et les ornemens d’église. Vers cette époque, le roi d’Écosse, Jacques III, fut obligé de faire venir de Londres, à grands frais, pour l’usage de sa maison, huit douzaines de plats et d’assiettes d’étain, cent douzaines de tasses de bois, une selle, une aiguière et un bassin. Ces princes aimaient cependant les lettres. L’un d’eux, Jacques IV, promulguait un décret portant que chaque baron et franc tenancier serait tenu d’envoyer au collége son fils aîné, héritier de son nom, afin d’y apprendre le latin et d’y étudier la jurisprudence et la philosophie. Ces connaissances mettaient ces jeunes gens à même de remplir les emplois de juges, de sheriffs, ou de suivre toute autre carrière exigeant une certaine culture d’esprit.

Ces princes étaient pauvres ; ils ne pouvaient donc encourager les arts et les lettres que par des décrets, et bien rarement par des actes de munificence. Les savans écossais se consolaient de ces commodités de la vie, si appréciées plus tard, en vivant, le plus qu’ils pouvaient, dans l’intimité des grands hommes de l’antiquité, Homère, Platon, Virgile, Cicéron, Plutarque. Ils étaient en outre en correspondance avec les savans de l’Italie, dont plusieurs venaient les visiter, et dans le nombre Æneas Sylvius, depuis Pie II, Poggio et Cardan. Ces étrangers applaudissaient à leurs travaux, s’étonnaient de leur savoir ; mais, sourds aux offres séduisantes que leur faisaient les souverains du pays, ils s’empressaient de quitter la contrée sauvage où ces hommes supérieurs, perdus au milieu de peuples à demi barbares, habitaient des huttes enfumées, pareilles à celles des Lapons d’aujourd’hui, se nourrissaient de gâteaux d’avoine et de viandes