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taire, on aurait voulu voir la nouvelle école retourner avec audace aux libertés du drame antique ou du moins au dialogue si net et si nerveux de Corneille. En un mot, une réforme n’est pas nécessairement un élan vers l’inconnu. Ce peut être, et souvent ce doit être un retour à de grandes lignes, qu’on reprend au point où elles ont été abandonnées, pour les conduire et les prolonger par-delà. Pourquoi n’en serait-il pas des révolutions de la poésie et de l’histoire comme de celles du commerce et de la navigation du monde ? Après avoir quitté au XVe siècle la route de l’Inde par l’Égypte, et avoir appris à doubler le cap de Bonne-Espérance, l’Europe n’est-elle pas à la veille de délaisser la voie ouverte par Gama, et de reprendre, en l’accélérant, celle de l’Égypte, frayée par Alexandre ? La nouvelle école ne pouvait remonter à un sentier plus sûr que celui qu’avait indiqué Fréret. Aujourd’hui, grace à tant de travaux et d’efforts, elle est bien loin du point de départ. Au reste, tous nos lecteurs auront été, je l’espère, frappés, comme nous le sommes, de marche ascendante qu’a suivie, d’un pas si ferme, le talent de M. Thierry ; ils auront admiré cette perfection croissante de jugement et de style, cette vocation précoce, cette impartialité qui est née et qui a grandi au milieu des orages politiques, ce génie presque divinatoire dont le souffle a rendu la vie à toutes les populations obscures qui ont, sans presque laisser de traces, foulé le sol de l’Angleterre et de la France. Plusieurs de nos contemporains se sont illustrés par l’histoire ; mais nul, je le crois, n’a considéré le passé sous autant d’aspects divers. M. Thierry a traité l’histoire en publiciste, en critique, en philologue, en artiste. Ajoutons que personne ne s’est plus religieusement renfermé dans le cercle de la science ; personne ne s’est consacré plus pieusement au culte de l’histoire nationale ; personne n’a donné à la réforme historique une impulsion plus efficace. À Dieu ne plaise que j’aie la prétention d’assigner des rangs, ou que je veuille diminuer en rien les statues qui nous restent à élever ; je désire seulement que l’on comprenne bien comment, au moment d’ouvrir une galerie des historiens modernes, le nom de M. Thierry s’est présenté le premier à notre plume.


Charles Magnin.