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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

pour M. Thierry l’horizon s’était agrandi ; un rayon de la réalité historique l’avait illuminé. Sans peut-être discerner bien nettement encore comment et dans quelle mesure il est permis d’atteindre à la vérité de l’histoire, il sentait vivement, et non sans un mouvement de colère, tout ce qui manquait d’érudition et de talent aux historiens que l’ignorance et le mauvais goût publics plaçaient au rang de classiques[1]. Un morceau sur quelques erreurs de nos historiens modernes, à propos d’une histoire de France à l’usage des colléges, parut en 1820 dans le Censeur. C’était le prélude d’une série d’articles que M. Thierry préparait sur nos origines nationales, et le signal de la guerre à outrance qu’il comptait entreprendre dans ce recueil contre les mesquines compilations extraites de Velly et de ses continuateurs. La censure, qui fut rétablie alors, en mettant fin à l’honorable entreprise de MM. Comte et Dunoyer, obligea M. Thierry à chercher une autre tribune, pour y exposer ses opinions sur notre histoire et sur la meilleure manière de l’écrire. Cette tribune fut le Courrier français.

Depuis le mois de juillet 1820 jusqu’au mois de janvier 1821, M. Thierry inséra hebdomadairement dans le Courrier des lettres qui, par le jour tout nouveau dont elles éclairaient les rapports des conquérans germains et de la population gallo-romaine, eurent le plus grand succès auprès de tous les lecteurs sérieux et amis de la science. Mais l’espèce d’apaisement politique qui gagnait M. Thierry, à mesure que croissait son amour pour l’histoire, l’amenait à traiter de préférence des points d’une érudition de plus en plus spéciale. Exposé, d’une part, aux tracasseries de la censure, qui se faisait l’auxiliaire de la presse anti-libérale, et s’apercevant, d’une autre part, que ses dissertations scientifiques ne répondaient pas suffisamment aux besoins de la presse militante, M. Thierry crut devoir, au mois de janvier 1821, discontinuer ces publications, qui dans les colonnes d’un journal ne se trouvaient pas, il faut le dire, à leur véritable place.

Cette rupture amiable, quoique pénible, du jeune écrivain avec la publicité quotidienne, fut un évènement heureux pour l’histoire. Libre de s’abandonner à ce qu’il regardait, avec raison, comme sa destinée, M. Thierry n’eut désormais qu’un but, à savoir, de mettre en pratique la théorie de rénovation historique qu’il venait d’exposer

  1. M. Thierry reconnaissait, pourtant, dès-lors de grandes et honorables exceptions. Il rendait, entre autres, pleinement justice, dans un article du Censeur européen du 21 juin 1819, aux qualités éminentes de l’Histoire de Cromwell, de M. Villemain.