Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/354

Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
REVUE DES DEUX MONDES.

soit de condition libre, soit de condition serve. Relisez ces mots écrits en 1820 dans le Censeur à propos des Mélodies irlandaises de Thomas Moore : « …Nous qu’on appelle des hommes nouveaux, sachons nous rallier par des souvenirs populaires aux hommes qui, avant nous, ont voulu ce que nous voulons, aux hommes qui ont comme nous les libertés de la terre de France… Mais ne nous y trompons pas, ce n’est point à nous qu’appartiennent les choses brillantes du temps passé ; ce n’est point à nous de chanter la chevalerie ; nos héros ont des noms plus obscurs ; nous sommes les hommes des cités, les hommes des communes, les hommes de la glèbe, les fils de ces paysans que les chevaliers massacrèrent près de Meaux, les fils de ces bourgeois qui firent trembler Charles V, les fils des révolté de la Jacquerie… »

Mais M. Thierry n’était pas doué seulement du génie de la polémique ; il possédait, et à un plus haut degré, le sentiment et le génie de l’histoire. À l’emportement sauvage et à l’érudition de seconde main de M. le comte de Montlosier, le jeune patriote résolut d’opposer des textes et de la science de bon aloi. Une partie de l’année 1819 fut employée à lire et à extraire tout ce qui avait été publié sur l’ancienne monarchie française, Pasquier, Fauchet, Mably, Thouret et les jurisconsultes, et les feudistes, et les commentateurs du droit coutumier, tous ces écrits froids, secs, insipides et durs, qu’il faut pourtant dévorer, selon l’expression de Montesquieu, comme la fable dit que Saturne dévorait les pierres. De plus, il étudia à fond, dans l’admirable glossaire de Du Cange, la langue politique du moyen-âge, et s’efforça même de remonter par la connaissance de l’allemand et de l’anglais modernes aux anciens idiomes germaniques et scandinaves. Enfin, en 1820, il aborda la grande collection des historiens originaux de la France et des Gaules. De ce moment, le passé, le présent, l’avenir, tout prit à ses yeux un nouvel aspect ; sa vocation était trouvée. Il ne demanda plus que subsidiairement aux vieilles annales de l’Europe des preuves et des argumens pour les besoins journaliers de la discussion politique ; il se prit à aimer le passé pour lui-même, pour en jouir d’abord, puis pour le ranimer et le faire revivre aux yeux de tous. Les deux grandes questions qui l’avaient préoccupé dès son entrée dans la carrière, la persistance de l’hostilité entre les races conquérantes et conquises, et le soulèvement et l’affranchissement des communes, restèrent toujours les deux points culminans de ses recherches, en se dépouillant, toutefois, peu à peu de ce que la polémique y avait mêlé d’exagération. En effet,