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bilité poétique et de vigueur, en quelque sorte musculaire, dans cette constitution aujourd’hui languissante, mais qui s’électrisait en 1810 à la lecture solitaire d’une page de M. de Châteaubriand :

« J’achevais, dit-il, mes classes au collége de Blois, lorsqu’un exemplaire des Martyrs, apporté du dehors, circula dans le collége ; ce fut un grand évènement pour ceux d’entre nous qui ressentaient déjà le goût du beau et l’admiration de la gloire. Nous nous disputions le livre ; il fut convenu que chacun l’aurait à son tour, et le mien vint un jour de congé, à l’heure de la promenade. Ce jour-là, je feignis de m’être fait mal au pied, et je restai seul à la maison ; je lisais ou plutôt je dévorais les pages, assis devant mon pupitre, dans une salle voûtée, qui était notre salle d’études et dont l’aspect me semblait alors grandiose et imposant. J’éprouvai d’abord un charme vague et comme un éblouissement d’imagination ; mais quand vint le récit d’Eudoxe, cette histoire vivante de l’empire à son déclin, je ne sais quel intérêt plus actif et plus mêlé de réflexion m’attacha au tableau de la ville éternelle, de la cour d’un empereur romain, de la marche d’une armée romaine dans les fanges de la Batavie, et de sa rencontre avec une armée de Francs.

« J’avais lu dans l’histoire de France, à l’usage des élèves de l’école militaire, notre livre classique : « Les Francs ou Français, déjà maîtres de Tournay et des rives de l’Escaut, s’étaient étendus jusqu’à la Somme… Clovis, fils du roi Childéric, monta sur le trône en 481, et affermit par ses victoires les fondemens de la monarchie française… » Toute mon archéologie du moyen-âge consistait dans ces phrases et quelques autres de même force, que j’avais apprises par cœur : Français, trône, monarchie, étaient pour moi le commencement et la fin, le fond et la forme de notre histoire nationale. Rien ne m’avait donné l’idée de ces terribles Francs de M. de Châteanbriand, parés de la dépouille des ours, des veaux marins, des urochs et des sangliers, de ce camp retranché avec des bateaux de cuir et des chariots attelés de grands bœufs, de cette armée rangée en triangle où l’on ne distinguait qu’une forêt de framées, des peaux de bêtes et des corps demi-nus. À mesure que se déroulait à mes yeux le contraste si dramatique du guerrier sauvage et du soldat civilisé, j’étais saisi de plus en plus vivement ; l’impression que fit sur moi le chant de guerre des Francs, eut quelque chose d’électrique. Je quittai la place où j’étais assis, et, marchant d’un bout à l’autre de la salle, je répétai à haute voix et en faisant sonner mes pas sur le pavé : « Pharamond ! Pharamond ! nous avons combattu avec l’épée ! — Nous