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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

mais l’art peut approcher du premier beaucoup plus que du second, peut-être parce que la matière du vrai existe dans les choses et dans l’homme, tandis que le beau, si on le veut parfait, absolu, n’existe que dans la pensée. De plus, le poète est dans l’obligation de combiner et de réunir le vrai et le beau, ces deux élémens de l’idéal, au lieu que l’historien n’a besoin de se préoccuper que du vrai. Il est assuré que les figures qu’il copie et qu’il s’efforce de ranimer seront d’autant plus belles, ou, du moins, satisferont d’autant mieux aux conditions de l’art (même s’il s’agissait d’Isabeau de Bavière ou de César Borgia), qu’elles seront plus ressemblantes et plus vraies, ce qu’on ne saurait dire, avec la même assurance, de la monstruosité volontaire dans les libres créations de la poésie.

D’autre part, si le but de l’historien est plus simple et plus sûrement réalisable que ne l’est celui du poète, la route que doit suivre le premier est plus rude et plus fatigante. La vérité historique ne se découvre pas par l’instinctive observation de soi-même ou des autres, comme la vérité psychologique et poétique. Le modèle que l’historien doit reproduire n’est ni en lui-même ni sous ses yeux. Il doit, pour retrouver l’image des anciens temps, fouiller péniblement les archives, compulser les chartes, déchiffrer les textes, interroger les monumens. Et quand il a achevé ces explorations patientes, quand il a mesuré dans tous les sens les colosses du passé (laborieux préliminaires qui répondent à l’invention des caractères et au choix des incidens chez le poète), il est à craindre que, fatigué de ces labeurs, il n’ait plus le temps ou la force de rendre la vie et le mouvement à cette poussière des siècles et des hommes qu’il vient de contempler dans leurs tombeaux. Tel est, cependant, l’heureux privilége de la plastique historique, que lors même que l’artiste n’aurait pu terminer son œuvre, lors même qu’il n’aurait ébauché que quelques parties incomplètes du personnage ou de l’époque dont il a fait choix, s’il a bien observé, s’il a su voir et traduire exactement ce qu’il a vu, ces fragmens de vérités seront encore d’un grand prix ; rien de son travail ne périra, et il sera d’autant plus assuré de la durée de son ouvrage, que, dans l’interprétation ou l’exposition des faits, il aura su mettre moins du sien et aura laissé glisser dans la fusion du bronze antique moins d’alliage du temps présent.

Il était donc certain que le mouvement de réforme historique qui éclata vers 1820, et qui poussait à l’étude sérieuse des textes originaux et des monumens une foule d’esprits jeunes et actifs, devait