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REVUE. — CHRONIQUE.

juguant la Pologne, la Russie a fait son dernier effort vers l’Occident. Elle ne peut pas se faire d’illusion à cet égard. Tout ce qu’elle peut espérer, c’est de conserver sa dernière et sanglante conquête. C’est vers l’Orient que doit nécessairement faire explosion cette force expansive qui agite les peuples nouveaux, impatiens, fanatiques. Qu’ils s’appellent Normands, Arabes, Tartares, Russes, peu importe. Ils obéissent à une loi de leur nature. Le chef de ce grand peuple, le cabinet de Saint-Pétersbourg, Russe par ses instincts, par ses tendances, Européen par son éducation et son contact avec l’Occident, met au service des forces nationales l’adresse, l’habileté de la vieille Europe. L’alliance anglo-française l’embarrassait ; il n’a rien négligé pour la rompre : il y est parvenu. C’est là la faute des cabinets, en particulier de l’Angleterre, faute énorme et dont il serait ridicule d’espérer que les conséquences seront effacées demain. Dès-lors que peut-on attendre de la Russie ? Et de bonne foi, dans son intérêt, à son point de vue, que peut-elle, faire ? Signer un traité à cinq ? Cela est difficile, possible cependant, à une condition, c’est que le traité n’élèvera pas d’obstacles sérieux contre les projets futurs, éventuels de la Russie. Soyons francs ; s’il en était autrement, la Russie se manquerait à elle-même ; elle ferait métier de dupe. Que lui importe au fond que la France signe ou ne signe pas ? qu’elle reste dans l’isolement ou qu’elle en sorte ? Pourrait-elle craindre que l’isolement ne dégénérât tôt ou tard en une guerre ? en une guerre européenne ? C’est bien alors que la Russie aurait ses coudées franches, qu’elle pourrait envahir l’Orient à son aise et regarder paisiblement des minarets de Constantinople les luttes sanglantes de l’Europe.

Plaçons-nous au véritable point de vue, sans préjugés, sans vaines préoccupations d’esprit. On l’a dit avec raison : c’est surtout en politique que les illusions sont funestes.

Il est évident que le traité qui se négocie dans ce moment ne peut rien contenir dans ses dispositions de décisif, d’essentiel. Il serait impossible.

Ainsi, s’il peut se défendre, ce ne peut pas être par ses résultats immédiats et directs, mais seulement par ses conséquences indirectes. De là, une énorme difficulté pour le cabinet. Quand on lui demandera : Qu’avez-vous obtenu ? quelles sont ces stipulations qui doivent nous faire oublier et le 15 juillet et les énormes dépenses qui en ont été la conséquence nécessaire ? La réponse écrite dans le traité ne sera guère satisfaisante, nous le craignons du moins.

Les résultats indirects, nous le reconnaissons avec la même franchise, pourraient être considérables ; mais le cabinet pourra-t-il les exposer, les prouver, les faire valoir ?

Pourra-t-il dire, preuves en main : J’ai peu obtenu, mais j’ai brisé, malgré les efforts et les tergiversations de la Russie, la ligue imprudente qu’elle était parvenue à former en dehors de la France et au fond contre nous ; en me refusant au traité, au contraire, je consolidais cette ligue, je reconstituais la sainte-alliance en y ajoutant l’Angleterre.

Pourra-t-il dire, preuves en main : L’Autriche et la Prusse étaient au regret