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temps n’a déjà été que trop indiscrète et plus empressée de nous révéler ses petits secrets que de faire nos affaires. M. Guizot était donc condamné par position aux affirmations et aux généralités. Par cela même peut-être la discussion aura été, dans la chambre du moins, plutôt utile que nuisible au ministère ; car elle aura, pour ainsi dire, défloré la question, et fait prendre des engagemens lorsque le sujet ne pouvait pas être approfondi.

Au reste, ce n’est là qu’une conjecture de notre part. Nous ne connaissons pas bien encore l’impression que ce grand débat a laissée dans la chambre. Les avis sont partagés. Les uns paraissent en effet convenir avec nous qu’il eût été plus prudent pour l’opposition de réserver toutes ses forces pour le moment décisif, lorsque les termes mêmes du traité pourront être analysés, discutés, lorsque le gouvernement devra déposer sur le bureau toutes les pièces, et rendre compte de toutes ses démarches. Les autres pensent au contraire que la discussion d’hier a déjà produit, même sur les centres, une impression défavorable au traité, qu’elle leur a inspiré une grande méfiance de cette négociation quelque peu hâtive et soudaine ; ils vont jusqu’à penser que le ministère, averti par cette répulsion de ses propres amis, pourrait bien ralentir la négociation, et ajourner ses projets.

Le temps nous éclairera sur la valeur de ces conjectures. Quant à nous, sans connaître les termes du traité, nous persistons à croire qu’il ne renferme d’autre disposition importante que le principe de la clôture des Dardanelles, principe que le traité d’Unkiar-Skelessi avait essayé d’affaiblir. Certes, si à côté de ce principe, qui est une vieille maxime de droit public, il y avait une garantie de l’indépendance de la Porte, une garantie signée par la Russie et l’Angleterre, et qui proclamerait l’intégrité de l’empire ottoman de manière que toute atteinte portée à la Turquie fût un casus belli contre celle des puissances qui aurait violé le traité, nous serions loin de méconnaître l’importance d’une pareille transaction diplomatique. Mais jusqu’à plus ample informé, nous persistons à croire que, si la Prusse et l’Autriche étaient très disposées à signer une convention de cette nature, l’Angleterre et la Russie ne sauraient y consentir. L’Angleterre ne cherche au fond que l’abaissement de la puissance égyptienne ; la Russie ne veut que trouble et incertitude dans les affaires de l’Orient. Pourquoi au reste s’en indigner ? Chaque nation songe à elle-même, à son avenir, à ses intérêts. C’est à nous de songer aux nôtres.

L’Angleterre peut être amenée un jour à s’emparer de la route des Indes par l’Égypte, elle est sur cette pente, elle le sait. Elle ne veut rien dans ce moment, cela est certain : elle veut seulement briser ce qui pourrait lui être obstacle dans les éventualités qu’elle entrevoit. Elle n’a pas voulu qu’il y eût en Égypte quelque chose qui ressemblât à une puissance, qui pût un jour, à l’aide de quelques secours européens, lui barrer le chemin de la véritable Angleterre, qui est l’Inde.

La Russie renoncerait-elle, pour notre plaisir, pour renouer et consolider nos alliances européennes, aux projets de Catherine, à la vieille et constante pensée de sa politique, disons-le, à l’avenir de la puissance russe ? En sub-