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LA VIE PRIVÉE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD.

Ils nous ont étudiés comme j’ai étudié le français chez mon précepteur de Boston, en deux jours. La première fois que j’allai à la Nouvelle-Orléans, j’accostai un Français dans la rue : et je lui dis, calculant que je me ferais comprendre : Polly woes a french shay ? [1] — Je n’entends pas l’indien, me répondit-il. — Ne me parlez pas de vos voyageurs… — Cela n’empêche pas, reprit-il après un moment de silence, que nous autres Américains, nous damons le pion à l’univers Je calcule que plus une machine à vapeur est chauffée, plus elle va vite, et la chaudière, à ce que je devine, peut éclater. C’est là notre affaire. Nous allons vite, nous allons bien, et cela chauffe en diable. Les Anglais battent le monde, et nous battons les Anglais. Nous perfectionnons tout ; nous avons perfectionné la nature humaine. L’Américain des États-Unis a du fonds, de la vitesse et de l’apparence ; c’est tout muscle : vif comme le renard, souple comme l’anguille, fin comme la belette. Je ne devrais pas le dire ; mais c’est reconnu. Il éclipse la création ; il vaut l’argent monnoyé. »

À ce dernier mot, Slick se tut, comme si cet effort de son éloquence eût touché le dernier terme de la persuasion et de la métaphore, et, par un sentiment de convenance très délicat, il changea de conversation.

Slick avait raison de se montrer modeste. Jamais la véritable situation des États-Unis, si dangereuse, si florissante, si active, n’a été exprimée et résumée avec une plus spirituelle et plus naïve profondeur. C’est ainsi qu’il traite tous les sujets : « Mes règles de conduite ; dit le philosophe marchand d’horloges, ne sont pas en grand nombre, mais elles sont d’un effet certain ; elles vont droit au but, c’est un fait. Tout se chiffre, voilà mon premier axiome. Il n’y a pas d’homme ou de femme inaccessible à la poudre de perlimpimpin (soft sawder), voilà mon second ; enfin le grand mot, le mot maître du monde entier, c’est Qu’est-ce que cela me fait ? Avec ces trois principes, vous irez au bout du monde, à ce que je calcule, et sans vous tromper de route. »

Il n’a pas la bonhomie de professer pour la vie politique cette estime et cette admiration que nous Français, tout neufs en ce genre, nous lui vouons naïvement. « Quand on s’est habitué à la vie politique, dit le marchand d’horloges, on ne marche jamais droit, c’est impossible… La politique nous tourne, nous retourne et nous tortille… Du diable s’il faut se fier jamais aux gens qui font ce métier-

  1. Parlez-vous français ?