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du grand salon. S’il n’était signé par une dame, nous l’attribuerions volontiers à M. Schopin.

Enfin, dans une dernière et quatrième catégorie, on placera ceux qui, sans suivre une école ou un système, préfèrent tout simplement reproduire la manière et même les compositions de quelque maître célèbre. Ceux-ci sont les plus sages ; car, si on ne peut pas inventer soi-même, quoi de mieux que de se servir des inventions des autres, surtout si elles sont bonnes ? En général ils choisissent bien. Les uns s’adressent à Raphaël, comme par exemple M. Cazes, qui a refait la Belle Jardinière ; d’autres préfèrent Michel-Ange et les Florentins, comme M. A. Deveria dans sa Charité. Ceux-ci ont du penchant pour les Vénitiens et s’exercent sur les étoffes ; le Christ au tombeau, de M. Guichard, offre quelque chose de semblable ; ceux-là se décident pour le Caravage, et c’est ce qu’a fait particulièrement M. Jollivet pour sa Déposition. Il en est qui remontent jusqu’aux Byzantins, comme M. Maison pour sa Peste (no 1355), M. Quantin (no 1648) dans les ornemens du cadre de son Christ au Jardin. Un autre se contentera de combiner le Pérugin et Fra-Bartholomeo, comme on le voit dans une Notre-Dame de M. Frenet. Enfin il y en a qui appellent à leur secours les anciens maîtres allemands, par exemple M. Mottez, dont la Sainte Famille mériterait probablement des remarques d’une autre nature, si elle n’était placée hors de vue.

Telles sont les quatre directions entre lesquelles se débat la peinture religieuse. On serait fort embarrassé de choisir ; car comment choisir entre la banalité et le pédantisme académique, entre la prétention impuissante et le pastiche ? Laissons donc ces honorables peintures rejoindre en paix leurs aînées dans l’oubli, et passons à d’autres.

Tableaux de genre. — Plaçons-nous d’abord devant, cette Noce juive si gaie, si vivante, si pleine d’imagination et de mouvement, si piquante d’esprit, si charmante de naïveté, et qui, par l’exquise fraîcheur des tons, la franchise de la touche et l’excellente distribution de la lumière, rappelle et égale presque P. Véronèse. Cette peinture est d’une grande réussite. Jamais M. Delacroix n’avait mis sur une toile autant de ce qu’il a, et si peu de ce qui lui manque. Elle est le type, et le dernier point de ce qu’il sait et peut faire. À la finesse, à l’harmonie habituelles de son coloris, il a joint cette fois des qualités beaucoup plus rares chez, lui, la vivacité et la transparence. L’effet général est suave, plutôt animé que brillant ; l’œil est satisfait partout, sans être attiré nulle part.