Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.
313
LA VIE PRIVÉE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD.

chant plus de prix à réussir qu’à gagner beaucoup d’argent. Quand le poisson est pris, la pêche terminée, l’argent dans sa poche, il rit, moins par avarice que par amour-propre, et il examine alors, pièce à pièce, d’un œil charmé, cette horloge à mille rouages, cette ame humaine dont le moi est le grand ressort. Son analyse vaut toutes celles de Dugald Stewart et même d’Emmanuel Kant. Il aime sincèrement son pays, dont les institutions, perfectionnant toutes les belles facultés dont nous parlons, ont fait du colporteur marchand d’horloges un personnage national, un symbole, un résumé, un type. Mais son patriotisme ne l’empêche pas de voir clair. Ultrà-Américain, ami véhément de la république fédérale, méprisant les autres peuples, certain de la supériorité qui place les États-Unis à une distance énorme de l’Europe, il n’en a pas moins les yeux très ouverts sur les abus, les fautes, les dangers, les misères de sa patrie. Il en raisonne, comme de tout le reste, pertinemment, froidement, simplement, sans détours, sans rhétorique, allant au fond des choses, prenant les faits pour des faits, et les phrases pour des phrases. Quand le raisonnement lui manque, les anecdotes lui viennent en aide. Après les anecdotes affluent les proverbes. Quand il ne trafique pas, il raconte, et fume, et chevauche, et se prélasse dans sa finesse, et se réjouit de ses bons tours, et se rit de ses dupes, pressant de l’éperon sa fidèle monture, et endoctrinant le voyageur anglais auquel il fait comprendre ses théories, ses souvenirs, ses supercheries, ses espérances, l’état du pays, les Américains, les Canadiens, les New-Brunswickois, et les nez-bleus, c’est ainsi qu’il nomme les habitans de la Nouvelle-Écosse, pays très peu connu auquel appartient par parenthèse l’auteur de ce charmant livre.

Notre Anglais et Samuel Slick suivent les bords de l’Atlantique, et, après avoir parcouru la Nouvelle-Écosse, ils entrent dans le Maine, qui appartient, comme on le sait, aux États-Unis. Chemin faisant, tous les individus qu’ils rencontrent, toutes les anecdotes que la présence des lieux rappelle au marchand d’horloges, tous les souvenirs dont son expérience est armée, lui servent à expliquer la situation morale des possessions britanniques et des états républicains, leur passé, leur avenir et leurs progrès. Il ne s’en tient jamais à la théorie et ne s’adresse qu’aux faits ; c’est la méthode de Franklin, le Socrate de son pays. On voit entrer en scène vingt personnages qui valent mieux que ceux de Cooper, empruntés non à la vie exceptionnelle des bois et des déserts, mais à la société réelle qui s’agglomère et se forme dans les villes à peine construites et dans les fermes clair-