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LA VIE PRIVÉE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD.

lons. Dans l’ouvrage qu’il vient de publier, M. Haliburton suppose qu’un Anglais parcourant les possessions britanniques fait rencontre d’un colporteur et fabricant d’horloges, Samuel Slick, de Slickville, dans le Connecticut ; ils se mettent à voyager ensemble. Tantôt sur une petite carriole, tantôt à cheval, Slick et son nouvel ami, qui ne joue guère d’autre rôle que celui de comparse, visitent la Nouvelle-Écosse, l’Acadie, le Maine, et toute cette portion contestée de l’Amérique septentrionale qui appartient aux États-Unis et à l’Angleterre. On frappe à la porte des chaumières, on entre dans les fermes, on s’arrête dans les auberges ; on ne laisse échapper aucune occasion de juger les hommes et de les observer sans en avoir l’air, presque sans le vouloir. Rien n’échappe à Slick des originalités et des singularités de cette société nouvelle. Il a des rapports de commerce avec tout le monde, et il débite une quantité prodigieuse d’horloges de bois, grace à la souplesse de sa parole ; il se vante surtout de connaître la nature humaine ; aussi comme il juge les hommes et les choses !

Depuis les personnages de Walter Scott, on n’a rien inventé de mieux que Samuel Slick. Ce marchand d’horloges du Connecticut est une excellente et spirituelle créature, n’ayant pas d’esprit à notre manière, de cet esprit déjà vieux, cent fois retourné, un peu rance, un peu usé, flétri par ses métempsychoses, ayant traversé le collége, Rome, la Grèce, l’Égypte et quelque trente siècles de filiations, mais un bon esprit naïf et natif, qui sort de l’expérience comme l’étincelle pétille en sortant du rocher ; vif, bref, pénétrant, ne s’embarrassant pas des mots ; quelque chose de Sancho Pança devenu homme politique, Sancho républicain. C’est le seul observateur sensé des mœurs américaines.

Cet homme traverse les États-Unis en long et en large, semant sur la route et pour de grosses sommes ses horloges de bois ; véritable Ulysse américain. Son nez est pointu, son front haut, sa taille droite et fine, sa physionomie riante et madrée, son teint bronzé par l’intempérie des saisons qu’il affronte, son œil étincelant de pénétration et de vanité. Il réunit les qualités du marchand, du voyageur, du diplomate, du courtisan et du sauvage. Membre d’une société qui n’admet point de maîtres et qui n’a que des maîtres ; il flatte tout le monde, sûr de tromper tout le monde. Actif, industrieux, d’une trempe d’esprit et de corps vigoureuse et flexible, il ne cède à personne, et n’a besoin de personne. Dans un pays de commerce, et qui ne peut se soutenir et s’élever que par un effort con-