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relief le talent des orateurs américains, le rédacteur se laissa engager dans une contradiction assez plaisante ; la résolution laudative de sa critique était sans cesse démentie par les fragmens qu’il était forcé de citer. On y trouvait des océans de mots répandus sur des déserts d’idées, des torrens de métaphores communes se précipitant comme la pluie du ciel, la foudre de l’expression mélodramatique tonannt au milieu de cette solitude et de cette brume ; aucune nouveauté, aucune simplicité, aucune énergie, aucune finesse, à peine le sentiment du rhythme et du nombre. L’absence du goût n’étonnerait peut-être pas chez une nation qui déploie et essaie pour la première fois ses vastes ailes ; c’est la hardiesse, la spontanéité, la grandeur des idées et du style, que l’on est surpris de lui demander en vain. Ses fondateurs furent des hommes énergiques. Le grand mot liberté remplit de son bruit et de sa splendeur tout l’espace compris entre la Floride et le Maine, entre l’Atlantique et les montagnes Rocheuses. Là vivent des républicains, fils de Washington, petits-fils des puritains indomptables, arrière-neveux des Saxons et des Teutons. L’énergique activité qui, depuis des siècles, précipite le mouvement de ces générations athlétiques, n’a rien perdu de son impulsion première. Partout on bâtit des ponts, des villes s’élèvent, on creuse des canaux, la machine à vapeur vole, les assemblées populaires se forment, de nouveaux districts sont arrachés à la vie sauvage, le désert cède, les landes sont cultivées, les forêts s’éclaircissent, les hâvres s’ouvrent, les manufactures sortent de terre, le triomphe de la civilisation saxonne continue. On ne peut pas soutenir que les héros de ce triomphe manquent de génie ; mais leur génie, ils ne l’écrivent pas : ils s’en servent. Aujourd’hui et pour longtemps encore, ils vivent dans la mêlée de l’industrie, ils sont dans le feu du combat. Penser est un métier d’oisifs. Ils n’ont pas le temps. Leur littérature est factice et ne tient pas à eux : ils ne possèdent pas ce loisir national, fonds nécessaire d’une littérature nationale. Ils ne reçoivent pas encore l’impression de cette nature grandiose qui les environne ; ou si cette impression les frappe, elle n’a point de force ; rien ne la concentre dans le foyer ardent et silencieux qui, par une magnifique alchimie, transformant la sensation et la pensée fait naître les arts, la poésie et l’éloquence, couronne des peuples mûrs, couronnement des sociétés achevées.

Ce n’est donc pas eux qu’il faut consulter, car ils ne se comprennent pas encore. Ce ne sont pas les Anglais, leurs aristocratiques ennemis, qui s’attachent à nier la puissance des démocrates, leurs anciens co-