Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
LA VIE PRIVÉE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD.

Il y a, on ne peut trop le répéter à l’Europe et à ses hommes d’état préoccupés, deux nations et deux vastes espaces qui méritent l’observation la plus attentive ; elles sont maîtresses de la puissance inconnue ; l’avenir est à elles : nations jeunes sans doute et contrées mal peuplées, mais qui ont tout à faire et qui grandissent, je veux parler de l’Amérique et de la Russie.

L’une et l’autre sont trop occupées de leur croissance pour s’en rendre compte, l’une et l’autre sont trop peu naïves pour qu’on les croie sur parole quand elles parlent d’elles-mêmes.

Les productions américaines manquent spécialement d’originalité. On dirait que les peintres, les orateurs, les poètes, les sculpteurs, les historiens des États-Unis, tenant leurs regards fixés sur l’Europe et comme écrasés par tant de beaux souvenirs, perdent le courage nécessaire pour puiser à la source vive des idées personnelles et des sentimens naïfs. Le burin du graveur est froid, la disposition du peintre est méthodique ; l’éloquence du prédicateur rappelle les amplifications du collége, les débats parlementaires offrent une succession indéfinie de harangues pompeusement vulgaires. Le lieu-commun, cette affreuse contagion de la servitude intellectuelle, se répand comme un nuage gris sur toute une littérature vague, pâle, diffuse, décrépite dans son berceau. La muse répète avec une douceur fade les tristesses de William Cowper et les moralités de Wordsworth. Le patriotisme local de chaque province condamne l’historien à une minutieuse et lente exactitude, qui, ne lui permettant pas d’écrire des annales, mais seulement des inventaires, dévoue six volumes in-octavo à la généalogie de Pittsburgh ou de Nashville, sans compter six autres volumes envahis par les documens. Le meilleur écrivain dont puissent être fiers les États-Unis, Washington Irving, homme de goût et de savoir, d’un style élégant, fin et poli, s’attache plutôt à continuer Adisson et Robertson, ses maîtres, qu’il ne prétend marquer d’une nouvelle et radieuse empreinte une littérature naissante. Fenimore Cooper, imitateur évident de Walter Scott, peintre exact et hardi de l’océan et des forêts, pèche par la stérilité de l’invention et par cette exagération du détail que l’art ne peut admettre sans descendre jusqu’à l’esclavage patient qu’exigent les œuvres mécaniques. Lorsque, tout récemment, une revue anglaise[1], dans sa bienveillance sympathique pour le cousin Jonathan[2], voulut mettre en

  1. Le Quarterly Review.
  2. Le peuple des États-Unis.