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MADAME DE LA GUETTE.

danger de son fils, et, comme elle tirait bien le mousquet, elle en prit un des mains d’un soldat, et coucha l’ennemi par terre d’un coup de feu dans le côté. Mme de La Guette, emportée par l’ardeur du combat, se précipita tout en fureur sur le blessé, de peur qu’il ne voulût encore résister ; mais ce malheureux était mourant. En se jetant sur lui, elle trempa ses doigts dans le sang qui coulait à flots ; elle vit un beau garçon, qui tourna vers elle des yeux obscurcis par les voiles de la mort. Le regard de ce jeune homme était plein de douleur et de désespoir ; il pénétra dans l’ame de Jacqueline. Ce qui acheva de la troubler, c’est que le pauvre diable, en reconnaissant une femme, se méprit sur ses intentions, et pensa qu’elle venait à son aide :

— N’essayez point de me secourir, madame, lui dit-il ; je suis un homme perdu. Tirez seulement de ma ceinture cette bourse et ce papier où vous verrez la demeure de ma mère à Genève. Envoyez-lui ce peu d’argent ; c’est ma solde d’un mois. Je servais pour nourrir ma famille. Le ciel ne m’a point favorisé.

Puis en pressant la main de Jacqueline d’un air qui exprimait de la reconnaissance, il ajouta : — Vous êtes bonne ! Dieu vous récompensera ! — Et il mourut étouffé par le sang qui lui vint jusqu’au bord des lèvres. Jacqueline sentit de l’horreur et de la pitié. Cette triste scène se grava dans son imagination et y détruisit le prestige de la vie des camps. Elle rêvait souvent que ce jeune homme revenait lui dire avec son regard mourant : « Vous avez fait le malheur de ma pauvre mère ! Les femmes ne doivent point tuer. Quittez ces mœurs barbares, ou bien vous saurez aussi ce que c’est que de perdre ses enfans. » Elle voulut d’abord fermer l’oreille aux cris de sa conscience, mais ils finirent par triompher de son goût naturel pour les batailles, et dans la suite elle attribua les chagrins qui l’accablèrent à la résistance qu’elle avait opposée aux ordres d’en haut.

VII.

À quelque temps de là, Mme de La Guette eut le plaisir de voir son fils aîné se marier avec une demoiselle de bonne maison. Elle apprit aussi que l’une de ses filles était recherchée à Paris par le chevalier Saint-Huber qui l’avait vue dans son couvent. Ce chevalier descendait directement du patron des chasseurs, puisqu’il avait le don de guérir de la rage en touchant les gens mordus par des chiens. Il