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MADAME DE LA GUETTE.

C’était M. de La Guette, qui arrivait avec le régiment de Marsin. Il eut son tour à caresser la belle guerrière, et on reprit ensuite le chemin de Bordeaux. On rencontra le prince de Conti et Mme de Longueville qui venaient au-devant de leur frère, en sorte que le retour fut une espèce de triomphe. Tout en devisant avec ces grands personnages, les époux eurent ensemble un petit démêlé conjugal. Jacqueline pardonna les fautes de son mari par souvenir des siennes, et la bonne intelligence ne fut point troublée. Le reste du jour se passa dans les repas et les fêtes. Mme de La Guette reçut toutes sortes d’honneurs et de complimens ; mais elle ne perdait pas de vue son dessein. Si l’amour de la guerre l’avait entraînée un peu loin, elle pensait aussi que son crédit s’en augmenterait, et l’occasion ne pouvait tarder à s’offrir de porter le grand coup qui devait sauver la France.

Sur ces entrefaites la désertion se mit dans l’armée des rebelles. M. le prince venait d’en recevoir l’avis, au moment où notre héroïne lui demanda une audience. Jacqueline ignorait cette éloquence bourrelée qu’on apprend dans les universités et parla d’abondance, sans suivre précisément les divisions qu’elle avait arrangées dans sa tête. Elle s’étendit sur la peinture des horreurs de la guerre civile ; sans aller jusqu’aux reproches, elle appuya sur la fausse gloire qu’on en tirait, et fit valoir le mérite inestimable de celle qu’on gagnait à combattre les ennemis du roi. Elle termina en posant le genou en terre pour supplier son altesse de renoncer à ses projets contre la cour et de ramener la paix et le bonheur dans le royaume. Nous ne savons pas ce qui fût advenu si la guerre n’eût pas été finie par force, car l’émotion de Mme de La Guette avait gagné le noble cœur du prince. Il voulut du moins donner à notre héroïne le plaisir de penser qu’elle avait réussi à souhait. Il l’obligea de se relever, lui prit les mains tendrement, et profita de l’occasion pour l’embrasser encore, en assurant que sa haine était évanouie. On ouvrit alors les portes. M. le prince déclara devant tous les chefs du parti qu’il allait à Paris faire ses soumissions à la reine, et qu’il recommanderait ses amis à la clémence royale. Pendant le reste de cette journée, tandis que chacun songeait à sa propre sûreté, Jacqueline entendit parler de la désertion des troupes ; mais son altesse lui dit que cela n’eût point suffi pour changer ses résolutions, et que c’était elle seule qui avait amolli son ame. Elle en demeura toujours persuadée, et cette croyance aurait fait la joie de sa vie entière, si l’emprisonnement de M. le prince