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se figurer un Christ pareil ! Non, jamais un homme de talent n’est parvenu à ce point de toute grandeur, de tout idéal, de toute beauté, le sublime pathétique de la scène fameuse du Golgotha. Non, ce n’est pas là Jésus. Si ce n’étaient les bourreaux et l’appareil du supplice, nous croirions que c’est quelque pauvre fou qu’on a chassé de la ville, où ses yeux égarés, ses cheveux hérissés épouvantaient les enfans et excitaient la pitié publique. Quelle invention malheureuse et dans l’ensemble et dans les détails ! et quelle exécution plus malheureuse encore ! Quel style, quel goût, quel choix de couleurs et de tons ! Quelle vulgarité de pensées et de manière ! Enfin, car il y a quelques bonnes choses dans cette peinture, quelle audace de plagiat !

Les peintures à sujets religieux qu’il nous reste à examiner, ou plutôt à énumérer, pourraient être partagées en trois ou quatre classes ou écoles, à peu près comme il suit :

La première en rang comme en date est celle de la pure tradition classique française, dont, pour fixer les idées, on trouverait le style dans les tableaux de M. Ansiaux. Elle ne manque jamais de représentans. Cette année, nous croyons pouvoir, sauf erreur, y rattacher d’abord et en première ligne, la Mort de la Vierge, de M. Caminade, dont l’irréprochable composition défierait la critique de Poussin même ; puis le Saint Lazare, de M. Vanderberghe, specimen des plus authentiques en ce genre ; puis le Martyrs de saint Adrien de M. Omer Charlet ; l’Ecce Homo, de M. Jouy ; le Christ apparaissant à la Madeleine, une bêche à la main, de M. Thévenin ; l’Assomption, de M. Ribera, artiste qui porte un très beau nom ; les deux Jésus au mont des Olives, de M. Pérignon et de M. Norblin ; le Saint Leu, de M. E. Goyet, etc, etc. À cette catégorie appartient probablement aussi le Repos en Égypte, de M. Ducornet, né sans bras.

La seconde classe, différente déjà de la précédente par un moindre penchant pour le haut style et pour la draperie, et par l’emploi moins exclusif de ses recettes pratiques, s’en écarte en outre en un point si important, qu’elle est au fond une hérésie. Ses sectateurs affectent l’indépendance et prétendent à l’invention. Séduits peut-être par le Christ consolateur de M. A. Scheffer, et plus encore, malheureusement, par les exemple de M. Signol, ils se permettent d’altérer les types traditionnels et consacrés des personnages divins ou célestes, qu’ils traitent avec aussi peu de façon que des figures allégoriques, et qu’ils font agir comme des héros de roman. Ce néo-christianisme esthétique n’est qu’un écho des néo-christianismes