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qui tenait pour M. le prince. Tandis que Jacqueline attendait sous la poterne, Saint-Olive fut conduit par quatre hommes au gouverneur de la citadelle. Cet officier connaissait M. de La Guette. Il vint en personne chercher la voyageuse et la fit monter chez lui. Il apprit à notre héroïne que son mari devait être à une journée de marche de la Tour-Blanche avec le régiment de Marsin ; mais il ne voulut pas souffrir qu’elle allât plus loin sans faire un repas, car les vivres étaient si rares, qu’elle risquait d’en manquer en route.

Le gouverneur, qui s’appelait La Roche-Verny, promit de conduire lui-même Mme de La Guette à son mari ; Jacqueline remercia Saint-Olive et lui conseilla de retourner à Angoulême, ce qu’il fit sans difficulté, car il regardait sa commission comme achevée. En cela, ils furent imprudens tous deux ; on ne sait jamais bien ce qui peut advenir d’une femme, une fois qu’on la quitte d’une semelle seulement.

La guerre de la fronde n’était pas fort meurtrière. Il y avait plus de pillages et d’escarmouches que de véritables batailles. On s’interrompait quelquefois pour se donner les violons, et l’amour allait son train ordinaire ; beaucoup de dames suivaient les gens des deux partis ; celles de la province feignaient de se passionner pour la politique afin d’avoir aussi leur part des divertissemens. M. de La Roche-Vernay était un homme à succès et donnait encore plus dans la galanterie que dans la rébellion. Cependant ce qui prévint Mme de La Guette en sa faveur, c’est qu’il portait bien la moustache et qu’il avait la mine d’un franc guerrier. Comme il admirait aussi l’air martial de notre héroïne, ils se prirent d’amitié l’un pour l’autre. Au lieu de se remettre en chemin tout de suite, Jacqueline consentit à visiter les dames de la ville. On fit une partie de plaisir dans un beau jardin où l’on pêcha des carpes. On soupa du poisson qu’on avait pris, et la nuit se trouva venue sans qu’on y eût pensé. Notre amazone amusa la compagnie en racontant sa querelle et son combat au fleuret avec M. d’Avaugour.

— Vous n’êtes pas au bout de vos duels, dit M. de La Roche-Vernay. Il paraît que votre mari est fort porté vers le beau sexe.

Ce mot suffit pour jeter du trouble dans l’esprit de Mme de La Guette. Elle devint rêveuse et ne trouva plus à rire de la soirée. Lorsqu’on fut de retour au château, Jacqueline pressa le gouverneur de s’expliquer.

— Volontiers, répondit-il. Votre mari est accompagné d’une demoiselle de ce pays qui le suit partout, et votre arrivée va un peu troubler ses plaisirs.