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compter comme un succès. Mme de La Guette reçut des visites à son hôtellerie. On parlait d’elle en bons lieux, et ceux qui ne l’avaient pas vue n’étaient pas à la mode. Elle retourna plusieurs fois chez la reine. On la mena au spectacle et on lui fit toutes les chères du monde en sorte qu’elle passa une semaine à se divertir avant que d’entreprendre son grand voyage. Cependant elle apprit une nouvelle qui gâta fort ses amusemens. Une jeune dame qui avait trempé dans la sédition fut reçue en grace par la reine un soir que Jacqueline faisait sa cour. M. de Guitaut, lieutenant des gardes, qui avait l’esprit méchant, dit tout bas à Mme de La Guette :

— Vous voyez bien cette jolie personne ? c’est à vous qu’elle devrait demander pardon et faire ses humbles soumissions, car elle a plus frondé sur vos biens que sur ceux du roi.

— Comment l’entendez-vous ? demanda notre héroïne.

Le lieutenant se laissa un peu prier et finit par raconter que, pendant le siége de Paris, on avait jasé sur cette dame et sur M. de La Guette.

— Voilà ce que c’est, ajouta Guitaut, que de courir les chemins chacun de son côté.

Jacqueline feignit de prendre la chose en riant, mais l’humeur colérique qu’elle tenait du vieux Meurdrac lui mit le feu dans le sang. Guitaut s’en aperçut.

— Il ne faut pas vous agiter pour si peu, lui dit-il. Ce n’était qu’une galanterie en l’air. La dame a maintenant pour serviteur ce jeune homme qui est auprès d’elle. Il se nomme d’Avaugour et est son cousin.

Outre la rudesse naturelle d’une femme vaillante, Jacqueline avait encore celle d’une campagnarde. Elle entendait mal les manéges et le savoir-vivre des gens de cour. L’impatience la prenant, elle s’approcha de la dame :

— Vous maniez fort bien l’éventail, lui dit-elle à brûle-pourpoint ; savez-vous aussi bien tenir une épée ?

— Non, répondit la dame ; je vous laisse les ustensiles de guerre et ne me pique pas d’être amazone.

— J’en suis fâchée, car je vous aurais proposé de nous couper la gorge ensemble.

— Vous me faites trop d’honneur ; excusez-moi si je n’accepte pas la partie. J’ai peur des armes et je n’ai pas envie d’être estropiée.

— Quand on a peur des armes, on ne doit pas chasser sur les terres des femmes comme moi. Puisque vous avez eu affaire à mon mari, il faut, s’il vous plaît, que nous ayons à démêler ensemble.