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REVUE DES DEUX MONDES.

Au bout d’un moment arriva M. de Fauges, aide-de-camp du duc.

— Votre armée, dit Jacqueline avec cet air de vérité que les femmes savent si bien jouer, n’est pas aussi en sûreté ici que vous pourriez le croire. Vous êtes étrangers et ne connaissez pas le pays. M. de Turenne est trop habile homme pour se mettre en position, si ce n’est afin de vous tendre un piége. Je viens de Gros-Bois, où il y a de l’infanterie royale cachée dans la forêt. Faites de ceci l’usage que vous voudrez.

— Madame, répondit l’officier, il faut me suivre, s’il vous plait, auprès de son altesse. Elle décidera si on doit tenir compte de votre avis.

Jacqueline vit bien que son stratagème pouvait l’entraîner fort loin ; mais une fois embarquée, elle ne voulut pas reculer. Elle répéta devant le duc ce qu’elle venait d’avancer. On se méfiait de sa bonne foi ; cependant tout en hésitant, on ne sonna pas l’attaque, et en moins de trois heures que dura l’indécision, M. de Turenne passa la rivière et fut sauvé. Notre héroïne demeura cette nuit-là au camp, et se coucha sur la paille dans une grange, en vrai militaire. Le lendemain, elle obtint la permission de parcourir les lignes de l’armée de Lorraine avec un officier qui la conduisait. Elle remarqua des gens qui épiaient ses regards et ses mouvemens, et comprit qu’elle était surveillée. Sans rien perdre de son assurance, elle s’approcha jusqu’aux frontières du camp qui touchaient au pont de Charenton. Là, elle fit un signe à ses domestiques, et s’adressant ensuite à son guide, elle lui dit :

— Vous n’avez pas besoin de passer outre, monsieur, je m’en irai toute seule à Paris.

— Ne faites point cela, madame, dit l’officier, je serai obligé de commander à mes gens de tirer sur vous.

— Eh bien ! tirez sur moi. J’ai servi le roi et mon pays, Dieu me protégera.

Jacqueline traversa le pont avec la vitesse de l’éclair. Elle touchait terre de l’autre côté, lorsqu’on fit une décharge de mousqueterie contre elle ; mais elle n’eut qu’un de ses valets blessé légèrement. Une heure après, elle était dans Paris.

V.

Mme de La Guette, ne voulant pas reprendre les habits de femme, se logea dans une hôtellerie des faubourgs, afin d’y vivre incognito.