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breuse et en bas âge ; mais, dans son cœur, elle enrageait de ne pas être homme.

On sait que la fronderie commença par être dans les mains du duc de Beaufort et du coadjuteur de Retz, et que le duc d’Orléans et le prince de Condé vinrent après. Les rebelles tenaient la ville, et les gens du roi la campagne. Les pillards de l’armée se répandaient de tous côtés ; il en venait souvent dans les plaines qui s’étendaient de Gros-Bois à Lagny. Un matin, les cloches sonnèrent l’alarme au village de Mandres. On y avait brûlé une maison, dévalisé des paysans et forcé des femmes. Une troupe de ces malheureux se réfugia chez M. d’Alais, et une autre vint chercher un asile, à Suilly. Jacqueline assembla ses valets et les rangea en bataille devant sa maison. Elle n’avait que dix hommes déterminés à vendre chèrement leur vie. La bande des pillards arriva bientôt. Ils étaient une trentaine, la plupart ivres et furieux, mais en désordre. Sans entrer en pourparlers, Mme de La Guette les chargea si impétueusement, qu’ils se dispersèrent. Elle en tua deux à coups de pistolet et désarma le cornette qui les commandait. Pendant la première moitié de la fronderie, elle eut ainsi plusieurs occasions de se battre contre les gens de l’un et l’autre parti. Ces exploits n’étaient pas d’une grande importance, mais ils éveillèrent tout-à-fait la passion guerrière de Jacqueline et servirent de prélude à d’autres plus sérieux. Elle fit comme ces petits lions qu’on apprivoise aisément quand ils sont jeunes, et qui retombent dans leur férocité naturelle une fois qu’ils ont goûté du carnage. Un beau jour, Mme de La Guette, ne pouvant plus tenir au logis, conduisit ses enfans à Gros-Bois ; elle pria M. d’Alais d’en avoir soin, puis elle se mit en campagne avec deux de ses gens bien montés et équipés en guerre. N’étant pas de force à porter le casque, elle mit le chapeau à larges bords avec les rayons de fer, qui était la coiffure des cavaliers d’ordonnance. Elle porta sa jupe retroussée, ne voulant pas dissimuler son sexe ; mais elle prit le haut-de-chausses d’homme, les grands gants, les bottes de Roussi, le baudrier large et l’épée de combat. Elle avait trois plumes vertes au chapeau et l’écharpe de même couleur. Dans cet équipage, elle traversa le pays un dimanche, après avoir entendu la messe dévotement. Les bonnes gens lui souhaitèrent une heureuse campagne, et elle s’enfonça dans la plaine aussi avide de gloire et d’aventures qu’un preux de l’ancienne chevalerie.

Il ne faut pas croire que Mme de La Guette eût le cerveau dérangé, comme le fameux héros de Michel Cervantes. Elle ne songeait pas à