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MADAME DE LA GUETTE.

galopa dans les bois en piqueur et en cavalier consommé. M. le prince, ravi de son intrépidité, lui disait qu’il la voudrait avoir pour aide-de-camp ou pour cornette un jour de combat.

— Ne riez pas, monseigneur, répondit-elle ; je serais capable de vous rejoindre un matin sur quelque champ de bataille comme volontaire.

— Faites-le, je vous en prie, dit son altesse ; je vous mettrai au poste d’honneur, et nous brûlerons ensemble la moustache à l’ennemi.

Tout en plaisantant de la sorte, le feu de la guerre montait aux joues de Jacqueline et s’échappait de ses yeux noirs en flammes si vives, que le prince en était ébloui. M. de Marsin surtout conçut tant d’estime pour sa belle hôtesse, qu’il était désolé lorsqu’il fallut partir.

— Madame., dit-il en montant à cheval, votre mari est un trop brave gentilhomme et vous une trop honnête personne pour qu’on songe à être amoureux de vous ; sans cela, je vous assure que je remuerais le monde entier pour vous plaire. Mais choisissez-moi une femme, et je l’épouserai de votre main les yeux fermés, fût-ce une gardeuse de moutons.

— Je vous chercherai cela, répondit-elle.

En effet à quelque tems de là, Mme de La Guette maria le comte de Marsin avec Mlle de Clermont-d’Entrague.

Quand M. le prince et ses amis eurent quitté Suilly, la châtelaine resta pensive et agitée, nourrissant au fond de son ame un ardent désir d’acquérir de la gloire, comme l’aurait pu faire le garçon le plus ambitieux. Elle en perdit le sommeil durant trois mois entiers, et répétait sans cesse le nom du grand Condé. Son mari se moquait d’elle. Lorsqu’il lui vit dans les mains le Traité de la Guerre, et qu’il la trouva penchée sur des cartes, suivant point à point les campagnes de Duguesclin et de Bayard, il tâcha de lui calmer la cervelle et de la ramener à ses enfans et à son ménage ; mais il était trop tard : le coup avait porté.

Les brouilleries du parlement et de la cour remuaient alors les esprits. Les premières séditions de la Fronde eurent un retentissement prodigieux dans les provinces, et on comprit que les troubles n’étaient pas près de finir. Tous les grands noms de France prenaient parti d’un côté ou de l’autre. M. de La Guette sentit qu’il ne pouvait demeurer oisif au milieu de tant d’agitation. Il s’attacha tout de suite à M. le prince, et courut à Saint-Maur lui offrir ses services. Jacqueline resta et promit de bien garder sa famille, qui était nom-