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LE SALON.

de leur goût et de leur esprit, plutôt que celle de leurs ouvrages. Sortir du banal, dans une route si battue, sans rompre avec la tradition, est une chose si rare, qu’on doit louer ceux qui le tentent ; surtout s’il y réussissent à quelque degré. M. Chenavard a certainement ce mérite. Sa peinture n’a aucun droit à la popularité ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle ne peut pas plaire ou déplaire médiocrement, ce qui est le signe d’une œuvre fort au-dessus du commun. Aussi n’a-t-elle pas tardé à devenir un champ de disputes. Le tableau de cet artiste étant, à ce qu’il paraît, une nouveauté pour le public, on ne peut qu’espérer beaucoup d’une seconde épreuve, car la plupart de ses défauts peuvent être corrigés, tandis que ses qualités, étant de celles qui ne peuvent pas s’acquérir, ne pourront pas non plus se perdre.

Le voisinage nous conduit immédiatement à une peinture qui est, sous tous les rapports, l’antipode de la précédente : le Jugement dernier, de M. Gué. Cet artiste a quitté brusquement les chaumières, les champs et les hameaux, pour se lancer dans les régions mystiques et surnaturelles du monde divin. Il est vrai qu’il y a vu surtout ce qu’un paysagiste pouvait y voir, des effets de lumière. Cette composition est conçue dans le système que le peintre anglais Martin a poussé jusqu’aux dernières limites de l’exagération. Mais, en cherchant à en mitiger l’intempérance, le peintre français en a par cela même détruit le prestige. Il a voulu satisfaire à la fois à la pensée et à l’imagination, et il est resté des deux côtés au-dessous de sa tâche ; car, d’une part, il n’est pas parvenu à imprimer à sa scène cet air de cataclysme et de fin du monde qui règne dans les compositions de Martin, et, d’autre part, il n’a pas pu y mettre davantage que ce qu’y ont mis, dans un autre système, Michel-Ange, Rubens, et J. Cousin. Toutes ces petites figures, en effet, ne peuvent prétendre intéresser pour elles-mêmes, elles sont nécessairement absorbées dans le tout, et c’est d’autant plus fâcheux que l’artiste paraît avoir dépensé beaucoup de temps, d’études, d’érudition et même de philosophie, à donner à chacune une signification particulière. Nous n’avons donc pas ici une vraie représentation du Jugement universel, mais une simple vue, prise de loin et en perspective. Il y aurait du reste de l’injustice à refuser à ce tableau un certain charme, comme effet général de lumière et de clair obscur, et à l’artiste le mérite d’avoir produit cet effet ; mais ce n’est pas là proprement une peinture religieuse.

Le Calvaire de M. Steuben exige une justice bien plus rigoureuse. Toucher ainsi les choses sacrées, c’est les profaner. Qui jamais a pu