Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
REVUE DES DEUX MONDES.

Ces pronostics que la volonté des parens porte sur l’avenir de leurs enfans ne manquent jamais leur but, parce qu’ils proviennent de leur humeur qui passe dans le sang de leur progéniture. L’éducation et l’exemple achèvent le reste ; aussi Henri IV fut-il un bon compagnon, non pas seulement parce qu’on lui fit boire du vin à sa naissance, mais parce que M. de Bourbon son père était un gaillard et lui enseigna par lui-même la galanterie, l’amour, la bonne chère et le courage.

Quand le vieux Meurdrac sut qu’il avait un petit-fils, sa rigueur fut un peu ébranlée, sans qu’il en voulût convenir. Des dames qui avaient vu l’enfant lui disaient souvent que rien au monde n’était si joli.

— Qu’il ne paraisse jamais devant moi ! s’écriait le bonhomme. Je lui donnerais ma malédiction.

Mais en parlant ainsi, les larmes lui venaient aux yeux. L’enfant était en nourrice dans un village à une lieue de Mandres. On sut que le grand-père l’était allé voir en cachette, et qu’il l’avait pris dans ses bras en soupirant à fendre les rochers.

Sur ces entrefaites, Mme d’Angoulême tomba malade et sentit bien qu’elle n’en relèverait pas. Elle envoya chercher Meurdrac un matin :

— Mon vieil ami, lui dit-elle, je m’en vais retourner à Dieu et je veux faire, avant que de partir, une action qui lui soit agréable. Il faut pardonner à vos enfans pour l’amour de moi.

— Pour l’amour de vous, madame, répondit le père, il n’est rien que je ne veuille faire ; mais comment surmonter la haine ? Je puis bien pardonner à ma fille à cause du sang ; quant à ce pendard qui me l’a enlevée, je ne l’aimerai jamais.

— N’importe ; vous le verrez et vous l’embrasserez à ma prière.

— Eh bien donc ! qu’il vienne, je l’embrasserai.

La porte s’ouvrit alors. M. d’Angoulême entra tenant Jacqueline par la main ; la fille se jeta aux genoux de son père en pleurant, et la paix fut signée. Pour M. de La Guette, les choses se passèrent plus en cérémonie. Il parut avec une mine très fière, et le duc d’Angoulême fut obligé d’appuyer la main sur son épaule pour l’obliger à saluer aussi bas qu’il le devait. Cependant, après le salut, on s’embrassa ; le gendre descendit jusqu’à dire qu’il avait du regret d’avoir offensé le père de sa femme, et Meurdrac répondit qu’il tâcherait de l’oublier. On causa un moment avec beaucoup de froideur, puis on se sépara presque aussi fâchés qu’auparavant ; mais un jeu du hasard acheva ce que le crédit de la princesse n’avait qu’ébauché.