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REVUE DES DEUX MONDES.

— Est-il vrai, monsieur, que vous soyez mon serviteur et que vous attachiez un grand prix à mon estime ?

— Assurément, mademoiselle, répondit Voisenon.

— Désirez-vous savoir, monsieur, le seul moyen de m’être agréable qui soit en votre pouvoir ?

— Sans doute, mademoiselle ; je brûle de le connaître afin de gagner plus vite votre amitié.

— Eh bien ! monsieur, le moyen est de ne pas songer à moi, de ne point prétendre à me plaire, car j’en aime un autre que vous. Je serai à M. de La Guette, ou je ne me marierai jamais. Si vous êtes galant homme, vous ne rechercherez plus un cœur qui s’est donné. Vous pouvez me rendre malheureuse en usant du crédit que vous avez sur mon père, mais vous ne réussirez ainsi qu’à vous attirer ma haine, tandis que si vous êtes généreux, vous aurez mon estime et ma reconnaissance.

— Je vous remercie de cette franchise, mademoiselle. Je ne suis pas homme à vous épouser malgré vous, car je veux être aimé de celle qui sera ma femme ; et pour vous montrer que je mérite votre amitié, je cesse de prétendre à votre main, quoique je vous trouve aimable et belle. Je ne dirai rien à votre père de cet entretien, et vous offre mes services de tout mon cœur.

Il était convenu que M. de Voisenon viendrait le lendemain à Mandres. Il envoya le matin un exprès pour dire qu’on ne l’attendît pas, et comme le père s’en formalisa, la rupture s’en suivit naturellement sans autre explication. La Guette était alors au siége de Lamotte en Lorraine. Une lettre de sa maîtresse le mit au courant de cette affaire. Malgré les assurances qu’elle lui donnait de sa fidélité, il fut tout remué des entreprises qui se faisaient contre son bien, et résolut de parer aux dangers de l’absence. Il obtint du maréchal de La Force un congé d’un mois et revint chez lui à la hâte. M. d’Angoulême parla au père en sa faveur ; mais Meurdrac ne voulait rien entendre et suppliait le prince de disposer de lui pour toute autre chose. Nos amans renoncèrent aux voies de la douceur et de la patience ; ils avaient tous deux la tête chaude. La Guette entra un soir par escalade dans le jardin, et à la suite d’une grande conversation ils arrêtèrent qu’ils se marieraient secrètement. Jacqueline y consentit, parce que c’était le seul parti certain pour vaincre l’obstination de son père ; mais elle déclara qu’elle ne sortirait point de la maison, et que le mariage ne serait pas consommé tant que le vieux Meurdrac n’aurait point pardonné.