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que sa fille était d’accord avec le cavalier, eut un redoublement de fureur. Il menaça Jacqueline de la battre si elle disait un mot de plus à ce jeune fou. La pucelle, qui était aussi une Meurdrac, se fâcha en s’écriant qu’on ne battait que des servantes, et que, si on levait la main sur une fille de sa qualité, elle partirait du logis pour n’y jamais rentrer. Le père, ivre de rage, courut à son bâton ; La Guette tira sa rapière, et Jacqueline prit un grand pistolet qui pendait au mur. Cependant ils demeurèrent tous trois un peu interdits de se voir ainsi le poing armé. Mme de Meurdrac sauta au collet de son mari tandis que sa fille poussait La Guette par les épaules et l’entraînait au dehors. Jacqueline sermonna son amant et l’assura qu’elle ne serait point à lui qu’il n’eût corrigé l’emportement de son caractère, mais au fond c’était pour cela qu’elle l’aimait. Il s’apaisa et fit serment d’être plus sage à l’avenir, puis il retourna chez lui en déchirant de l’éperon les flancs de son cheval, et gesticulant comme un démoniaque tout le long du chemin. Mme de Meurdrac avait fini par remettre aussi le bonhomme dans son sang-froid. Jacqueline promit qu’elle ne reverrait plus La Guette sans le consentement de son père. On soupa de bonne intelligence le soir, et la tempête fut dissipée, mais les intérêts du jeune cavalier semblaient ruinés pour toujours.

Le dimanche suivant, La Guette rencontra le vieux Meurdrac à la porte de l’église. Il lui adressa un salut et mit le genou en terre devant lui en présentant le manche d’un poignard.

— Tuez-moi, monsieur, lui dit-il, si vous ne voulez me pardonner mes fautes ; la mort me fera une peine moins cruelle que votre colère et la perte de mes espérances.

— Levez le genou, monsieur, répondit le père un peu radouci. Je ne veux ni vous tuer ni vous donner ma fille. Je vous pardonne votre faute, pourvu que vous ne songiez plus à vos espérances.

Et se tournant vers Jacqueline, il ajouta :

— Regardez ce jeune cavalier qui a de la bonne volonté pour vous ; c’est la dernière fois que vous le voyez d’aussi près, car je vous défends de l’aimer.

La Guette, se releva et mordit un moment ses moustaches, tandis que sa belle lui adressait de loin un regard languissant ; puis il enfonça son chapeau sur ses oreilles en s’écriant qu’il fallait donc accepter la guerre, puisqu’on ne voulait pas de ses soumissions. La campagne de Flandre n’était alors qu’à moitié. L’armée sortit de ses quartiers d’hiver, et notre gentilhomme y fut rappelé. Une tierce