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il n’est plus de talens faits pour elle. Le public, de son côté, est si profondément indifférent à tout ce qui a l’air d’un tableau d’église, qu’il ne lui vient même plus à la pensée d’y regarder, de manière qu’à moins de porter la signature d’un nom célèbre, ce qui n’arrive presque jamais, une peinture de ce genre est condamnée, sans être même entendue. L’espèce de rénovation d’art chrétien qu’on a essayé d’importer de l’Allemagne, et qui semblait être encouragée par le cours des idées littéraires et philosophiques régnantes, a complètement avorté. Le paganisme, avec ses dieux et ses héros, est encore plus mal reçu, si c’est possible. Voilà donc l’art (car il ne s’agit pas d’autre chose ici) privé des deux sources d’inspiration où il trouva pendant tant de siècles d’inépuisables thèmes de représentations, l’antiquité classique et l’histoire sacrée du christianisme. Que lui reste-t-il donc, et sur quoi s’exercera-t-il ? sur l’histoire ! mais quelle histoire ? et d’ailleurs, qu’est-ce que l’histoire toute seule pour l’art ? un recueil d’anecdotes, de faits isolés, sans intérêt, sans influence sur l’imagination, inintelligible au peuple, incapable de fournir autre chose au peintre qu’un magasin archéologique de costumes, d’armes, de meubles et d’ustensiles, vaine défroque de morts oubliés et ensevelis à jamais dans leur tombeau. Mais passons sur ces questions, nous n’avons ni le temps ni les moyens de les résoudre, et, sans chercher à plonger dans l’avenir de l’art, bornons-nous à constater ses misères présentes.

Dans l’intérêt des artistes qui cultivent encore avec tant de labeur ce terrain ingrat, nous serons très court sur les peintures de cet ordre. Presque toutes échappent à la critique ; elles défient à la fois et l’éloge et le blâme ; il faut donc leur laisser le bénéfice de l’obscurité et la protection du silence, sauf les exceptions, s’il y en a.

Et il y en a probablement une au moins dans le salon carré même, sous le no 332 (Martyre de saint Polycarpe). Cette toile est d’un aspect peu prévenant au premier abord à cause de quelques tons criards dont l’artiste aurait pu facilement amortir les dissonnances, s’il avait réfléchi que l’effet d’un tableau n’est pas le même au salon que dans une église. Malgré ce premier et inévitable échec de l’œil, cette peinture résiste et demande à être mieux interrogée. De ce nouvel examen, il est résulté pour nous l’impression que c’est là une œuvre de marque. Elle a, ainsi qu’on l’a écrit déjà, et nous ne trouvons pas de meilleur mot, une grande tournure ; ou, comme disent encore mieux les Italiens, un air de maestria. La composition rappelle les grands modèles d’Italie, mais sans les répéter ; on y sent l’influence