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MADAME DE LA GUETTE.

— Excusez-moi, mademoiselle, dit-il ; je suis trop franc du collier pour prendre des détours ; cet instant est précieux. Je suis venu pour vous déclarer que je vous aime ; bien des fois j’avais juré de ne jamais me marier, et dès que je vous ai vue, j’ai senti qu’il fallait rabattre de mes sermens et tomber parmi les esclaves de l’amour.

Jacqueline ne fit d’abord que balbutier, comme le doit une honnête fille. Elle reprit ensuite ses sens, et répondit que c’était une folie que de jurer de n’aimer jamais ; qu’elle avait aussi commis une faute, mais qu’elle s’en repentait déjà ; et le cavalier lui ayant demandé avec feu si c’était à cause de lui, elle lui dit fort gentiment que, si c’était pour un autre qu’elle eût le cœur troublé, ce serait à cet autre et non pas à lui qu’elle en ferait la confidence. Ils en vinrent tout de suite aux sermens de fidélité, comme des gens qui sentent le prix du temps, et on convint que le lendemain le jeune homme ferait sa demande au père.

La Guette avait son château à Suilly, qui était un village à deux lieues de Mandres. Il ne vint pas le lendemain ; Jacqueline en était fort inquiète, lorsqu’elle reçut en cachette, par un garçon de ferme, un billet de son amant. Il lui annonçait avec un grand désespoir que l’ordre de rejoindre son régiment lui était arrivé, et qu’il avait la douleur de partir sans revoir sa maîtresse, mais qu’elle entendrait parler de lui, si Dieu le permettait, et qu’aussitôt la campagne achevée, il reviendrait l’épouser. Jacqueline pleura un peu d’abord, puis elle prit son grand courage, et se réjouit d’aimer un brave militaire, qui rapporterait de la gloire pour lui faire plus d’honneur, et qui penserait à elle au milieu des batailles. Afin de passer le temps de l’absence selon ses goûts, elle prit de l’exercice, monta beaucoup à cheval, sauta les fossés et les rivières comme un démon, et tira des coups de mousqueton aux chevreuils, dans le parc de M. d’Angoulême.

C’était à l’époque de l’affaire de Nancy. La campagne de Lorraine dura environ trois mois, au bout desquels La Guette revint couvert d’applaudissemens et capitaine d’une belle compagnie d’ordonnance. Dès le lendemain de son retour en Brie, notre gentilhomme s’habilla galamment et se présenta au château de Mandres. Les voies lui étaient préparées d’avance. Jacqueline avait tout conté à sa mère, qui approuvait ce mariage. La bonne dame était une personne de grand sens ; elle conseilla au jeune homme de faire lui-même sa proposition au père, et lui recommanda surtout d’y mettre beaucoup de douceur, et de ne pas s’effrayer si M. de Meurdrac commençait par