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décemment les équivoques du prince, sans toutefois lui manquer de respect, qu’il finissait toujours par être confus de sa grossièreté, et lui donnait quelque petit présent pour faire sa paix.

Cependant l’époque était proche où cette fière beauté devait se montrer moins inhumaine et trouver un maître. Dans la plaine de Brie demeurait un brave et aimable gentilhomme nommé La Guette, ayant la figure belle, vingt-huit ans, une bonne réputation, un nom respecté des gens de l’endroit, et auquel il avait donné récemment de l’éclat, en se battant dans la campagne de Lorraine. Il était bien fait, généreux et entreprenant ; ces qualités-là regardaient la fille, et, pour contenter le père, il avait du bien ; mais son seul défaut était grave, il était violent et avait le cœur si haut placé dans la poitrine, qu’au moindre mot il ne se connaissait plus. Cet emportement était dangereux dans le métier de prétendant, avec un beau-père colérique ; on le savait si bien aux environs, qu’on disait : Si jamais Meurdrac et La Guette ont maille à partir ensemble, il y aura du vacarme à Gros-Bois.

La première fois que Jacqueline vit M. de La Guette, ce fut chez le duc d’Angoulême ; ce jeune cavalier se trouvait dans le cabinet du prince, lorsque tous les Meurdrac y vinrent en visite un matin. La Guette ne dit mot, mais il ne quitta point la demoiselle du regard, et au bout de cinq minutes, lorsqu’il se retira, il adressa un salut si courtois à la mère et à la fille, que Jacqueline en rougit jusqu’aux yeux. Cependant, quand elle fut remise de son trouble, elle demanda tout bas à une dame qui était ce gentilhomme qui sortait. M. d’Angoulême entendit la question, et fit lui-même la réponse :

— C’est, dit-il, un cavalier riche et que j’aime bien ; je suis charmé qu’il vous plaise. La rougeur que je vois sur vos joues prouve que vous le trouvez beau, et vous avez le goût excellent. Je lui dirai l’effet qu’il a produit sur vous.

On peut juger à ces paroles si la pucelle de Gros-Bois devint plus rouge encore ; le vieux Meurdrac se mit à rire, et les assistans répétèrent que La Guette avait bonne chance. À quelques jours de là, notre gentilhomme ayant rencontré le père à la chasse, l’aborda civilement et fit amitié avec lui. Ils entrèrent ensemble au château, ce qui transporta de joie la demoiselle qui les vit par sa fenêtre ; La Guette resta deux heures à Meurdrac, et causa en homme de bonne compagnie. Les jours suivans, il revint encore, et, à l’une de ses visites, il trouva enfin occasion de parler en particulier à Jacqueline en promenant dans le jardin.