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MADAME DE LA GUETTE.

Ils se marièrent, et, dès le mois de février 1613, le ciel leur accorda une petite fille qui eut le bon esprit de prendre pour elle la beauté de sa mère mais qui hérita aussi du caractère endiablé de M. son père, ce qui en fit une de ces personnes comme on n’en voit plus, et qu’on appelait alors femmes vaillantes.

Mlle Jacqueline de Meurdrac montra dans sa petite jeunesse ce qu’elle serait un jour, car elle nageait intrépidement dans la rivière d’Yères, montait à cheval comme un lansquenet, et se moquait des filles de M. de Varannes, qui avaient peur des armes à feu, et n’osaient pas tirer au mousqueton avec elle. Son père lui ayant demandé ce qu’elle voulait apprendre en arts d’agrément, elle le pria bien fort de lui donner un maître d’escrime. Il y consentit, et, au bout d’un an, elle était déjà si habile, que les gentilshommes du voisinage venaient joûter au fleuret avec elle, et ne s’en allaient point sans avoir reçu quelque botte dans le corps.

À dix-huit ans, comme elle était d’une beauté remarquable, et qu’au milieu de ses lutineries elle conservait toutes les graces de son sexe, beaucoup de jeunes gens qui entendirent parler d’elle dans le pays, vinrent rôder à Gros-Bois, pour la rencontrer. Lorsqu’elle allait à la messe, on voyait sur la place de l’église plus de chevaux de selle et de chapeaux à plumes qu’il n’y en avait à deux lieues à la ronde, ce qui prouve qu’on venait de fort loin exprès pour elle. À cette heure-là, elle se tenait modestement à côté de sa mère, et lisait dévotement ses prières ; l’on n’aurait guère reconnu en elle une amazone turbulente. Aussi les jeunes gens que la curiosité ou l’envie de railler avait conduits à l’église s’en retournaient les uns édifiés, les autres amoureux. Trois ou quatre de ces cavaliers la firent demander en mariage à M. de Meurdrac ; mais elle supplia son père de ne pas la presser encore, et, comme ces épouseurs n’avaient pas de grands biens, le bonhomme n’insista point. À force de faire réponse à ceux qui parlaient amour et mariage, que son cœur ne lui disait rien, elle s’était déjà imaginé qu’elle voulait vivre et mourir vierge ; c’est une idée que les filles adoptent volontiers, quand elles sont bien sûres d’y pouvoir manquer aussitôt qu’il leur plaira. Soit à cause de ces propos, soit pour sa ressemblance avec Jeanne d’Arc, on l’appelait par toute la Brie la pucelle de Gros-Bois. M. d’Angoulême l’aimait beaucoup ; il invitait souvent les Meurdrac à venir manger chez lui, et s’amusait à taquiner la demoiselle, en équivoquant sur les mots ; mais elle, qui n’aimait pas les discours malhonnêtes, répondait en pucelle et non pas en femme vaillante. Elle relevait si