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CAPODISTRIAS.

podistrias s’écriaient qu’une société d’Hercule, dont on venait de découvrir l’existence, s’était formée à Paris, qu’elle avait pour but de reprendre l’œuvre des hétairistes, et que l’assassinat venait d’elle. On désignait les membres de ce corps prétendu de meurtriers ; on voulait des arrêts de mort et des proscriptions. Au milieu de ce désordre, M. Colettis fit prendre les armes aux gens de sa maison, et, suivi de vingt-quatre palikares, se rendit au sénat ; il y trouva le président, pleurant à chaudes larmes la mort de son maître. M. Colettis lui fit observer que ce n’était pas le moment de se désoler, et qu’il fallait, au contraire, conserver tout son sang-froid pour faire tête à l’orage, maintenir l’ordre, et empêcher de nouveaux malheurs. Il proposa donc de réunir immédiatement le sénat ; le président lui répondit que nul sénateur ne voulait sortir de chez lui sans gardes. À l’instant, on leur envoya, à l’un deux, à l’autre quatre des soldats du général ; et, les ayant ainsi rassemblés peu à peu, on nomma, vu l’urgence, une commission de gouvernement, composée de MM. Augustin Capodistrias, Colocotronis et Colettis. C’était tout ce qu’il était possible de faire dans un pareil moment et dans un pareil lieu ; et, une fois ce pouvoir suprême organisé, on prit des mesures actives pour maintenir le bon ordre.

George Mavromichalis restait renfermé dans l’hôtel du résident de France, et malgré les cris des égorgeurs, M. Rouen n’avait pas voulu consentir à le livrer ; mais lorsqu’on vint le réclamer au nom de la commission administrative, les portes s’ouvrirent. M. le colonel Pélion donna le bras au jeune homme ; les soldats du corps régulier l’entourèrent, et il fut transféré paisiblement au Palamidi.

Les faits étaient trop patens pour donner lieu à de longs débats ; le conseil de guerre permanent des troupes légères du Péloponèse, séant sur les glacis de la citadelle, condamna George Mavromichalis, Jean Caraïannis et André Géorgi à être fusillés. Le jugement fut confirmé dans les vingt-quatre heures par le conseil de révision, et le lendemain, 10 octobre (vieux style), Mavromichalis fut amené sous un platane isolé, entre le bord de la mer et la porte de la ville, où la sentence devait être exécutée. Une population immense, tous les étrangers, officiers et autres qui se trouvaient à Nauplie, couvraient la plaine et les escarpemens au sommet desquels est construite la forteresse. L’infanterie régulière et un escadron de cavalerie, rangés en bataille sur les routes qui mènent à Épidaure et à Argos, étaient chargés de maintenir l’ordre.

Le bey de Maïna, des fenêtres de son cachot, regardait cette scène lugubre.

George s’avança d’un pas ferme, vêtu d’un brillant costume. Arrivé, il détacha le cachemire qui lui servait de ceinture, et, le remettant à son confesseur, il le chargea de le porter, comme souvenir, à sa jeune femme, à qui il avait déjà fait dire, au moment de son arrestation, de choisir un beau mari pour le remplacer. Alors, élevant la voix et se tournant vers le peuple, il s’écria : « Mes frères, union et concorde ! » il tourna ensuite ses regards vers la citadelle, aperçut son père, se mit à genoux pour recevoir sa bénédiction, et lui fit un signe d’adieu ; puis, commandant le feu lui-même, il tomba.