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avancèrent la tête et le virent pâle, amaigri par neuf mois de captivité, élevant son triste visage vers eux. Ils lui dirent : « Comment êtes-vous ? » Il leur répondit d’un air accablé : « Vous le voyez. » Sans le laisser parler davantage les soldats le forcèrent de continuer son chemin.

C’en fut assez. George Mavromichalis suivit long-temps des yeux son père et le lendemain, se levant dès l’aurore avec son oncle, ils allèrent à l’église Saint-Spiridion, où le président avait coutume d’entendre la messe. En entrant, Constantin s’appuya contre un des piliers de la porte à droite. George alla embrasser l’image de la Vierge, puis revint se mettre à côté de son oncle ; leurs deux gardes se tenaient derrière eux. George était couvert d’une cape noire ; Constantin était enveloppé dans un grand manteau blanc, et de la main droite tenait la crosse d’un de ses pistolets.

Au bout de quelques minutes, un léger mouvement se fit dans l’assistance. Un bedeau traversa l’église pour avertir le prêtre de monter à l’autel, et le président parut au bout de la ruelle qui faisait face à la porte. Il s’avançait rapidement, suivi à quelques pas de ses deux gardes ordinaires, Dimitri et George, surnommé le manchot, Candiote. Il aperçoit les Mavromichalis, hésite, se tourne vers la maison habitée par un de ses familiers, puis il se remet et s’avance vers l’église. Constantin et George le saluent en portant la main à leurs bonnets. Il ôte son chapeau ; Constantin l’ajuste au front, le coup part ; M. Capodistrias chancelle, atteint de deux balles ; George se jette sur lui et le frappe de son poignard dans le côté. Jean Caraïannis fait feu, mais la balle va s’enfoncer dans le portail. Des cris affreux éclatent dans toutes les parties de l’église ; les deux gardes du président s’élancent vers leur maître ; George le manchot soutient son corps sur son bras unique et le dépose doucement à terre. Dimitri se précipite sur les pas de Constantin qui fuyait vers une montée rapide située en face de l’église ; d’un coup de pistolet, il le blesse à l’épaule, mais pas assez grièvement pour le faire tomber ; un coup de feu tiré alors d’une croisée par Fotomara, Souliote, abat Constantin, blessé mortellement. La populace, ameutée par les cris de George le manchot, regarde avec stupeur le blessé, qu’un piquet de cinq soldats transporte au corps de garde, et qui expire en arrivant.

Son neveu avait suivi une route différente ; manqué deux fois par Dimitri, il se jeta dans une maison appartenant à un lieutenant-colonel du génie, et attenante à l’hôtel du résident de France. Il eut un instant l’idée de s’y barricader ; mais bientôt il changea de mur, il demanda asile à M. le baron Rouen. Sa requête fut accueillie, et, en entrant dans le salon du résident, il détacha son pistolet, le porta à ses lèvres, et le remit au général Gérard, en disant : « Je le confie à l’honneur de la France. »

Cependant le plus grand tumulte régnait dans la ville ; on fermait les portes et les boutiques ; on se préparait comme pour soutenir un siége, et la populace excitée menaçait d’égorger tous ceux qu’il plairait aux meneurs de désigner comme fauteurs de l’assassinat du président. Les partisans de M. Ca-