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CAPODISTRIAS.

M. Pierre Mavromichalis, au mépris de toute justice, était toujours écroué au Palamidi. Les Français mécontens, les Anglais dans une défiance sombre, les Russes triomphans, voilà l’état des choses. M. Capodistrias cherchait à ajourner la réunion des députés, réunion qu’il avait si solennellement promise.

Cependant MM. Constantin et George Mavromichalis, l’un frère, l’autre fils du prisonnier du Palamidi, étaient confinés sans jugement dans l’enceinte de Nauplie, et gardés par deux soldats qui avaient mission de ne les jamais perdre de vue et de les accompagner partout. Les deux suspects pouvaient, et par l’importance de leur famille, et par leur conduite personnelle pendant la guerre, être comptés au nombre des personnages les plus remarquables du pays. George Mavromichalis surtout, à peine âgé de trente-deux ans, nouvellement marié, était renommé pour sa beauté, son brillant courage, l’ardeur de son patriotisme, et l’élégance achevée de ses mœurs. Comme tous les Grecs, l’imitation des modèles antiques était l’idéal qu’il poursuivait. Profondément touché des malheurs de sa patrie et de la persécution de sa famille, indigné de voir son vieux père, chargé de gloire, l’être aussi d’ignominie, le souvenir d’Harmodius s’empara de sa pensée ; il proposa à son oncle d’assassiner le président.

Le premier point était de gagner leurs gardes, ce qui ne fut pas difficile ; c’étaient deux soldats, nommés l’un Jean Caraïannis, l’autre André Géorgi, que, par une incurie inexcusable, on avait laissés auprès d’eux depuis quarante jours, au lieu de les changer fréquemment, suivant la règle. Un homme de confiance de la famille Mavromichalis acheta des pistolets, et l’on se tint prêt. Mais le bruit se répandit que l’ancien prince de Maïna allait être élargi. L’amiral russe lui-même avait senti l’odieux de cette détention prolongée. Dans une expédition vers les parages de Liméni, il avait reçu à son bord la femme du prisonnier, et il s’était engagé à intercéder en sa faveur. À peine arrivé à Nauplie il tint parole, fit de vives remontrances à M. Capodistrias, et finit par obtenir que M. Mavromichalis serait présenté au président le 7 septembre suivant, puis mis en liberté. Malheureusement un article du journal anglais le Courrier, qui s’exprimait avec véhémence sur les affaires de la Grèce, parvint le même jour à M. Capodistrias, qui, outré de colère et s’emparant du premier prétexte qui se présenta pour laisser éclater son ressentiment, refusa positivement de délivrer M. Mavromichalis. M. Ricord ne voulut pas décourager son protégé, et, à la première entrevue qu’il eut avec lui (car on lui permettait de le faire venir sous escorte à bord de sa frégate), il l’engagea à prendre patience pendant quelques jours encore. C’était le 6 septembre ; le vieux prince de Maïna quitta le vaisseau russe avec beaucoup de tristesse, et, en traversant les rues de Nauplie, il pria ses gardiens de le laisser passer sous les fenêtres de son fils et de son frère, afin qu’il pût au moins leur adresser quelques mots avant de rentrer dans sa prison. Cette demande fut accordée. Il s’arrêta dans la rue, et, levant les yeux vers la croisée, il s’écria : « Adieu, mes enfans ! »

À cette voix, le fils s’élança en disant à son oncle : « C’est le vieillard ! » Ils