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CAPODISTRIAS.

du sénat fut destitué pour crime de correspondance avec Hydra. Les défections se multipliaient. Des mesures de rigueur parurent nécessaires ; plusieurs personnes furent exilées. Mais, comme on était à bout de ressources, il fallut bien en venir au point redouté, et l’assemblée nationale fut convoquée pour le mois d’octobre. On était en juillet 1831, et le résultat des longues réflexions de la conférence de Londres allait bientôt être connu. Le provisoire était donc près de finir, et M. Capodistrias voyait avec douleur s’ouvrir devant lui un avenir qui allait probablement l’annuler. Pour se venger de ceux qui appelaient ce résultat de tous leurs vœux, il fit répandre le bruit que sa flotte, réunie à Poros, allait, avant peu, paraître devant Hydra.

Les insulaires ne lui laissèrent pas le temps d’agir, si réellement il en avait l’intention. L’amiral Miaulis, à la tête de deux cents marins, arrive de nuit, entoure les vaisseaux du gouvernement, et s’en empare avec ses barques. Grand est l’embarras de M. Capodistrias, bien grand aussi celui des commandans français et anglais. L’amiral russe conseille l’emploi de la force ; le capitaine Lyons refusa positivement son concours, et le capitaine Lalande répondit au colonel Callergis, envoyé par le président, qu’enfant de 93, il se ferait plutôt hacher que de tirer sur des constitutionnels. C’est que la question était bien réellement là, et qu’en hésitant à se faire les instrumens du pouvoir, les deux officiers comprenaient qu’ils étaient venus, non pour servir l’ambition d’un homme, mais pour garantir la liberté d’un peuple. En attendant que l’affaire se résolût, on ne négligea pas les notes officielles ; le résident russe blâma la conduite de Miaulis avec beaucoup de rudesse et de hauteur ; ses deux collègues se mirent nécessairement à sa remorque, mais tous deux ne cachèrent pas, dans l’intimité, ce que leur caractère d’hommes publics leur interdisait de proclamer, l’éloignement que leur inspiraient M. Capodistrias et sa cause.

Cependant l’amiral hydriote et ses marins tenaient la flotte en leur pouvoir. Le président, se voyant privé du secours matériel des commandans français et anglais, dissimula fort peu sa mauvaise humeur, et fit faire à ses ennemis des sommations de se retirer ; elles restèrent complètement stériles. Les capitaines Lyons et Lalande, las de jouer le rôle difficile d’observateurs dans cette malheureuse affaire, quittèrent soudainement Poros et se retirèrent à Nauplie ; mais l’amiral russe, M. Ricord, resta : les évènemens se précipitèrent.

Tout à coup les protestations pacifiques de M. Capodistrias cessent ; M. Callergis signifie au chef hydriote que, s’il ne se retire pas, on l’empêchera de recevoir des vivres. En même temps des troupes sont dirigées sur Poros : de toutes parts arrivent des renforts ; Miaulis, cramponné à sa proie avec deux cents hommes, répond à M. Ricord, qui transmet les menaces dont il doit être l’exécuteur, que, si le lendemain passage n’est pas livré aux Poréotes partant pour Hydra, il tirera sur la flotte russe. Quelques instans sont à peine écoulés, qu’à l’entrée de la rade paraît une goélette chargée de vivres ; le brick russe le Télémaque et le lougre le Chirokin s’avancent pour barrer le passage ; aussitôt le combat s’engage entre les deux vaisseaux et la goélette, que vient