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CAPODISTRIAS.

Il y a des allégations que nulle autorité sans réplique ne soutient, mais auxquelles l’examen des faits qui les entourent et les font naître donne un grand caractère de vérité. Aucune pièce écrite et signée ne prouve matériellement que Wallenstein ait aspiré à la couronne de Bohême, et cependant personne ne doute de ce fait. Les démarches, les inconséquences même de l’ambitieux général de l’empire déchirent le voile mystérieux que des faits patens ne sont pas venus soulever. Ainsi, M. Capodistrias, dévoué à la Russie pendant la première partie de sa vie, et agissant évidemment dans ces vues pendant tout le temps que l’hétairie mit à enfanter la révolution, et même jusqu’au jour où il est nommé au gouvernement des Hellènes, peut passer pour être demeuré fidèle à cette puissance. Cependant cette hypothèse laisse quelques doutes ; il n’attire pas les Russes dans le pays ; il se sert d’eux, mais uniquement pour se soutenir, lui et les siens ; il confie les places à des étrangers, qui viennent de chez lui et qui sont à lui ; il élève ses deux frères aux plus importantes fonctions de l’état, l’un commandant l’armée, l’autre chargé de rendre la justice. Dès l’abord, il humilie et repousse loin du pouvoir les chefs dont il devine l’influence. Il cherche à les rejeter en dehors de tout rôle politique, en leur confiant des missions inférieures ; il flatte les passions populaires, et, tout en concentrant dans ses mains un pouvoir usurpé, il cherche à garder les façons d’un père du peuple.

À l’extérieur, il calomnie la nation et veut qu’on la soumette à un joug de fer, il traite d’intrigans tous ceux qui se plaignent, et se plaint lui-même plus haut qu’eux, afin de justifier la conduite violente qu’il ne cesse de tenir, et à laquelle il se prétend forcé. En s’appuyant sur la Russie, il lui fait entrevoir ce que tout le monde suppose ; il la confirme dans cette opinion, et, sous l’égide du czar aveuglé, il continue son œuvre, sans rien craindre de la France ni de l’Angleterre. Bien loin de là : il se félicite, en accordant une préférence, d’avoir créé une rivalité ; car, du jour où la Russie verra clair dans ses projets, il jettera loin de lui son pouvoir temporaire pour saisir l’autorité absolue, ou il réclamera l’appui des deux puissances ; il excitera leur colère en dévoilant les ténébreux desseins de la cour de Saint-Pétersbourg, et, sûr désormais de leur protection, il ne pourra que profiter de leurs rancunes. En un mot, M. Capodistrias aurait-il trompé la Russie et travaillé pour lui-même ? Je le répète, les preuves matérielles manquent à qui veut l’affirmer ; examinons cependant les faits qui peuvent justifier cette hypothèse.

Le protocole de la conférence de Londres, du 3 février 1830, vint compliquer la situation de la Grèce, par l’opposition sourde, mais ferme, que M. Capodistrias fit à l’arrivée du prince Léopold de Saxe-Cobourg, roi des Hellènes. La nation accueillit cette nomination avec enthousiasme. De toutes parts, on s’empressa de signer des adresses au nouveau chef ; on était las du régime provisoire, et l’on espérait que le prince adopterait un système plus conforme à l’esprit national. Mais le président avait résolu de rendre impossible une volonté pour laquelle il se déclarait plein de respect.

En donnant au sénat communication de la note des trois puissances, il eut