Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/259

Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
CAPODISTRIAS.

une position extra-légale, en refusant le serment de maintenir l’indépendance, qui, disait-il, n’existait pas en Grèce. Que venait-il donc y faire lui-même ? Le sol sur lequel il marchait pouvait sans doute lui être ravi quelque jour par les soldats d’Ibrahim ; mais, tant qu’un des défenseurs de la liberté restait debout, la patrie gardait son indépendance, et ce n’était pas à lui de le méconnaître. Un jeu de mots servit de porte à M. Capodistrias pour entrer dans l’arbitraire.

Le voilà libre de toute entrave morale. Cependant, inconnu dans le pays, ne tenant les fils de rien, il fut obligé d’appeler autour de lui, à son corps défendant, ces chefs sur lesquels il sentait bien que son autorité reposait. Il en réunit quelques-uns dans une sorte de conseil d’état, mais il ne leur accorda que voix consultative. Ce corps était divisé en trois sections de neuf membres chacune, une pour les finances, une pour l’intérieur, la troisième pour la guerre. Les présidens de chaque section étaient MM. Mavromichalis, Zaïmi, Conduriottis. Panhellenium, tel est le nom qu’il donna à l’ensemble. Les trois secrétaires formaient le ministère. Enfin, en dehors de cette assemblée de conseillers, se plaçait un secrétaire d’état, intermédiaire entre elle et le président, et c’est dans la personne de ce dernier que se concentrait tout le pouvoir.

Pour satisfaire aux demandes réitérées des cabinets protecteurs, M. Capodistrias s’occupa d’abord de la piraterie. Il n’y avait qu’une voix sur son inutilité et ses effroyables abus, et personne ne songea à la soutenir. M. Mavrocordato partit pour Grabousa en Candie, son principal foyer, et aussitôt elle cessa. L’Europe admira l’influence immense du président ; celui-ci dut reconnaître le pouvoir personnel de son mandataire.

Cependant les troupes, qui depuis long-temps n’avaient pas touché leur solde, étaient à charge aux pays dans lesquels elles se trouvaient cantonnées. Presque entièrement composées de Rouméliotes, ces bandes étaient sur le sol du Péloponèse sans patrie et sans autre ressource que leurs armes et leurs services. On songea à les organiser de manière à pouvoir payer chefs et soldats, chacun selon son grade et en assurant les droits de l’avancement. Mais un grand obstacle s’opposait à l’exécution de ce projet ; la haine des palikares pour le service régulier les remplissait de méfiance contre une organisation à laquelle peut-être on chercherait à les plier un jour. Pour obtenir l’assentiment des Rouméliotes, il fallait trouver un homme en qui ils eussent toute confiance. M. Colettis, que le président n’avait pas jugé à propos d’appeler auprès de lui, et que tout le monde lui désignait, fut enfin mandé, et reçut la mission d’organiser les Rouméliotes en chiliarchies, ou corps de mille hommes, commandés chacun par un colonel. La chiliarchie se décomposait en fractions comme nos régimens. Là s’arrêtait la similitude ; le soldat conservait ses anciens rapports avec les chefs et gardait son indépendance. En un mot, la mesure qu’adoptait le gouvernement était moins militaire que fiscale. C’était ce qu’il s’agissait de persuader aux troupes. M. Colettis arriva au camp de Trézène, où l’on avait réuni quatre mille hommes. Les chefs se rendirent près lui pour le complimenter. On causa de la guerre, du nouveau gouverne-