Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
REVUE DES DEUX MONDES.

prendre à la nation. Il voulut saper le pouvoir de ses feudataires, de ceux qui remplissaient ses coffres et formaient ses armées ; à la place d’un état de choses radicalement vicieux, il rêva l’éducation européenne de son peuple et la Russie trouvait trop bien son compte dans de pareilles préoccupations pour essayer de s’y opposer. De cette époque datent les premières menées du divan contre Ali-Pacha de Janina.

Au moment où le congrès d’Aix-la-Chapelle venait de se terminer, M. Capodistrias prit le prétexte de sa santé et de son amour filial pour s’éloigner subitement de Saint-Pétersbourg et se rendre à Corfou. Il s’arrêta d’abord à Vienne, d’où, après des conférences secrètes avec M. de Metternich, il partit, comblé des témoignages d’estime de l’empereur d’Autriche et du roi de Prusse, et se rendit à Naples, toujours pour raison de santé, puis enfin à Corfou, où son arrivée fut annoncée et proclamée dans les termes les plus pompeux. Il apportait à M. le comte Antoine-Marie Capodistrias, son père, une lettre du czar, conçue dans les termes les plus flatteurs, lettre qui fut insérée immédiatement dans la seule gazette ionienne, et dont les exemplaires furent répandus avec profusion par toute l’Épire et jusqu’en Morée. Les anciens chefs de Klephtes qui avaient connu jadis M. Capodistrias, les nouveaux capitaines qui s’étaient élevés pendant son absence, accoururent près de lui ; dans ces réunions, on traita des chances de succès que présentait l’avenir de l’hétairie, des moyens de rendre son organisation plus compacte, enfin et surtout des secours que devait fournir la Russie, et de son attachement pour la cause grecque.

Mais, si le diplomate russe était en haute estime auprès des Armatolis épirotes, les dominateurs anglais ne le voyaient pas d’aussi bon œil. Le lord haut-commissaire, sir Thomas Maitland, celui-là même qui avait livré Parga, s’inquiétait beaucoup de ses démarches mystérieuses. L’ambition de la Russie, dont le comte de Liverpool avait dit, en 1791, qu’il fallait surtout surveiller la marche menaçante, effrayait de plus en plus le cabinet britannique, et il n’eut de repos que lorsque M. Capodistrias eut quitté les Îles. Celui-ci avait annoncé son arrivée à Naples ; changeant brusquement d’itinéraire, il débarqua à Venise, et vint passer le mois de juin tout entier près de Vicence, à Vadagna. Là, tout en prenant les eaux, il se consultait avec l’archevêque Ignatius, qui avait quitté Bukarest à la suite des Russes et s’était retiré en Italie, où il vivait d’une pension de l’empereur, sans cesser de servir ardemment la cause de l’hétairie.

Le 10 juillet, le comte se trouvait à Paris, où son arrivée mit toute la diplomatie en mouvement. M. le duc de Richelieu quitta sa retraite pour le voir ; le roi lui accorda plusieurs audiences, et il eut avec M. le duc Decazes de longues et fréquentes entrevues. Il sortait peu, ne se montrait nulle part, continuait à être uniquement occupé de sa santé, et désespérait la curiosité des journaux par le mystère dont il prenait soin de s’entourer. Il paraît qu’il n’y eut entre lui et le gouvernement français que des explications amicales au sujet de la conduite que M. Pozzo di Borgo avait tenue envers un ministère qu’il n’aimait pas. Après être resté environ un mois à Paris, M. Capodistrias