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CAPODISTRIAS.

adopté des sermens nouveaux, des formules jusqu’alors inusitées. La deuxième hétairie, qui comptait sur Napoléon, s’était formée en Italie ; le siége de la troisième fut placé à Saint-Pétersbourg ; on espérait s’appuyer sur Alexandre. Rhighas, pour plaire aux démagogues français, n’avait parlé que de liberté ; la deuxième hétairie, sous l’influence napoléonienne, voulait reconstruire l’empire d’Orient, allié naturel de l’empire français ; la troisième, se pliant aux idées du czar, et sentant le besoin de le flatter, mit en avant l’intérêt de la religion orthodoxe. Ces trois modes divers d’organisation insurrectionnelle prouvent évidemment que l’on s’embarrassait peu des formes, et que le seul but réel que l’on voulût atteindre, était l’émancipation de la patrie.

Voilà donc l’hétairie renaissante à Saint-Pétersbourg sous la forme d’une croisade. Sans se voiler du mystère impénétrable dont s’était enveloppée l’hétairie précédente, elle espérait demeurer long-temps cachée ; et, si des circonstances funestes et imprévues n’eussent déjoué les intentions prudentes des chefs, elle se serait encore mûrie pendant une quinzaine d’années. Il était surtout nécessaire de répandre l’instruction parmi le peuple. Des écoles grecques existaient dès long-temps dans toutes les villes considérables ; celle de Janina jouissait même d’une certaine réputation ; beaucoup de jeunes gens allaient puiser en Europe une éducation qui leur rendait le joug des Turcs plus odieux ; mais, comme tout cela était insuffisant, on forma en dehors de l’hétairie la société avouée des philomuses, qui, sous la présidence de M. de Guilford et du comte Capodistrias, devait inviter les sympathies généreuses de l’Europe à concourir à une œuvre bienfaisante. Les philomuses recueillaient des souscriptions ; les sommes perçues pour l’entretien des écoles pouvaient, en cas de besoin, échoir à l’hétairie. On profitait ainsi des dispositions bienveillantes de plus d’un grand personnage, que le but secret eût effrayé et éloigné.

M. Capodistrias se trouvait donc en quelque façon à la tête de l’hétairie ; les agens russes qui se répandaient sur le territoire ottoman recevaient ses instructions. Au mot liberté, mystérieusement murmuré à l’oreille de chaque Hellène, les populations s’animaient : « Mais des armes, mais de l’argent, demandaient-elles, qui nous en donnera ? — Le czar, répondait-on, » comme jadis on avait dit : L’empereur ! Ce mot suffisait, et l’hétairie comptait un membre de plus. Pendant que toutes ces choses se tramaient, M. Capodistrias dirigeait la politique de la Russie à l’égard du divan de manière à donner grand espoir aux Hellènes. On fomentait les troubles de la Moldavie, on excitait les Serviens, on refusait d’exécuter les clauses du traité de 1812, et, tout en se jouant du sultan et de son impuissante colère, on ne manquait pas de protester de sa modération et de cacher à l’Europe abusée les envahissemens projetés.

Mahmoud, que de si graves dangers eussent dû préoccuper, se mit en opposition avec la force même de son empire. Vieux et corrompu, l’état turc n’était plus assez vigoureux pour être sauvé par des réformes. Il y a des malades à qui l’on conserve un reste de vie à force de soins et de régime ; tout remède héroïque les tuerait. Mahmoud s’attaqua aux janissaires ; c’était s’en