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poste de secrétaire d’état ; et, lorsque l’empereur retourna à Saint-Pétersbourg, il eut l’ordre de le suivre. Instruit par expérience des épreuves que lui réservait la jalousie moscovite, il chercha long-temps, mais en vain, à détourner cette résolution, et représenta à son souverain que ses services seraient plus utiles à l’étranger. Alexandre resta inébranlable, et le diplomate devenu ministre, adjoint à M. le comte de Nesselrode pour les travaux les plus importans du cabinet, se vit chargé personnellement de l’administration de la Bessarabie et des relations si difficiles à entretenir avec le royaume de Pologne. Son influence grandissait de jour en jour.

À peine arrivé à Saint-Pétersbourg, son frère, M. Viaro Capodistrias, était venu le joindre. Ce jeune homme, accueilli par Alexandre avec une distinction empreinte de l’affection que l’empereur portait au comte, fut invité par le monarque à accepter en Russie une place fort considérable. M. Capodistrias s’effraya des suites que pourrait avoir la faveur de son frère, et, redoutant la jalousie déjà inquiète de la noblesse russe, il força le comte Viaro à refuser et à partir sur-le-champ. On ne le voyait se parer d’aucun titre ; il n’était rien et menait tout ; on pouvait deviner, à la modestie de ses allures, le vif désir qu’il éprouvait de ne servir de but ni aux regards ni à l’envie. Au congrès de Vienne même, où sa participation avait été réelle, il n’avait pris aucun titre officiel, et ce n’est guère qu’à Paris et dans les affaires de Suisse que l’on voit son nom paraître dans les pièces diplomatiques. Néanmoins il fit partie de l’assemblée d’Aix-la-Chapelle, régla les différends qui s’étaient élevés entre la Suède et le Danemark au sujet de la dette nationale de la Norvége, et surtout termina seul les contestations dont le grand-duché de Bade était l’objet, lorsque la Bavière et l’Autriche voulaient s’en disputer les fragmens.

Depuis la chute de Napoléon, les gouvernemens n’avaient montré ni sagesse ni prévoyance ; leur avidité aveugle pouvait les rejeter dans les désastres auxquels ils venaient d’échapper. Les chefs des états allemands semblaient surtout oublier l’impopularité qu’ils avaient encourue en déniant aux peuples les libertés dont la promesse seule venait de décider la victoire ; la révolution d’Espagne, les convulsions de l’Italie, les progrès de l’esprit libéral en France, les sociétés secrètes, fantômes qui, plus tard, parvinrent à les effrayer, ne leur semblaient pas assez menaçans pour que la Prusse renonçât à ses idées d’envahissement sur l’Allemagne méridionale, pour que l’Autriche abandonnât ses vues sur l’Italie centrale, pour que les petits états abdiquassent leurs plans ambitieux. Ainsi se détruisait l’harmonie, dont le simulacre était important à conserver en face de gouvernés tous les jours plus menaçans et plus forts. En vain la Russie s’efforçait-elle de calmer cette fièvre d’usurpation ; elle ne parvint qu’à irriter la jalousie et la défiance du cabinet britannique. M. Capodistrias semble ne s’être fait aucune illusion sur ces difficultés ; mais bientôt un intérêt plus cher et plus immédiat porta ses préoccupations vers l’Orient. Ici commence la période vraiment importante de sa vie politique.

Dès 1816, des patriotes grecs avaient repris l’œuvre déjà avortée deux fois de leur insurrection nationale. Une troisième hétairie s’était formée ; on avait